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THE LIBRARY

of

VICTORIA UNIVERSITY

mwmm ?ffil Victoria

UNIVERSITY ^IBRARY

Dr. K.H. Cousland

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University of Toronto

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http://www.archive.org/details/lafapu

LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS

AU MOYEN-AGE

ET

SES DOCTEURS LES PLUS CELEBRES

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DU MÊME AUTEUR:

Le Christ devant la critique au second siècle. 1 vol. in-8°. Paris' Jouby, 7, rue des Grancls-.\ugustins.

La Divinité de Jésus attaquée par Celse et défendue par Origine,

thèse du docloraL i vol. in-8". Même librairie.

Dieu et l'Esprit humain ou l'Exisleace de Dieu devant le bon sens, la philosophie et les sciences aux difïérentes époques de l'histoire. Conférences deSainle-Genevirve de Paris, 8 vol. in- 12. Même librairie.

Le Droit divin et la Théologie. Brochure. Paris, Palmé, 76, rue

des Saints-Pères. Henri IV et l'Eglise. 1 vol. in-8'. Même librairie. Le Cardinal du Perron. 1 vol. in-)2. 2" édition. Paris, Didier,

3."). quai des (irands-Augustins.

Un curé de Charenton au XVIII^ siècle. 1 vol. in-12. Paris, (ier- vais, "29, rue de Tournon.

L'abbaye de Sainte-Geneviève de la Congrégatton de France.

2 vol. in-8", Paris. IMème librairie, et Palmé, 7(3, rue des Samls- Pères.

Le Pouvoir civil devant l'enseignement catholique. 1 vol. in-12, Paris, Perrin, 3."), quai des jrands-Augustins.

La Question ouvrière. 1 vol. in-12. Paris. 1893, Paris, Lelliielleux, 10, rue Casse l te.

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ET

SES DOCTEURS LES PLUS CÉLÈBRES

PAR

L'abbé P. FERET

DOCTEUR EN THÉOLOGIE

ANXIEN CHAPELAIN DE SAINTE GENEVIÈVE

CHANOINE HONORAIRE d'ÉVREUX

CURK DE SAINT-MAURICE DE PARIS

MOYEN-AGE

TOME DEUXIÈME

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PARIS Alphonse PICARD et FILS, ÉDITEURS

82. rue Bonaparte, 82

1895

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AVANT- PROPOS

Ce volume qui embrasse la deuxième moitié du xiii^ siècle, aura, conrormément au plan adopté, deux parties : phases histo- risques et revue littéraire.

La catégorie des docteurs sécutiers n"a pas loutàfait ici la signifi- cation que nous lui avons donnée précédemment, ou plutôt elle sest élargie pour se subdiviser: l'établissement du collège de Sor- bonne en est la cause. Au siècle suivant, la fondation du collège de Navarre produira un nouvel élargissement et une nouvelle sub- division.

Dans l'état actuel de la Faculté, la division historique des doc- teurs a déjà, en grande partie, son application : nous avons les Cbiquistes, les Sorbonnistes, les Religieux.

Les Ubiquistes qui ne sont attachés ni à la Sorbonne ni à aucun ordre religieux, peuvent être considérés comme les successeurs des anciens docteurs ou maîtres séculiers.

Les Sorbonnistes, séculiers eux-mêmes, se placent naturelle- ment à la suite. Ils occupent un rang des plus honorables au sein de la Faculté.

La sève puissante des deux Jeunes ordres mendiants a beaucoup produit. Les autres ordres religieux ont quelque peu donné. En ce qui concerne les premiers, la gloire s'ajoutera au nombre.

Mais, avant d'aborder notre sujet, nous devons dans l'intérêt de la vérité historique consigner (juetques réflexions.

Nous signalerons d'abord trois omissions dans notre précédent volume.

La première a trait à Tagon. Nous aurions indiquer, p. 5, que les Cinq Livres des Sentences du théologien espagnol ont été im- primés par l'abbé Migne dans sa Patrologie latine, tom. LXXX, pp. 727 et suiv., ex Floresii Esp. Sag., ubi priiniun in Jurem editi ex codice yothico iiionasterii S. JSmi'.ii de la Cogolla. Nous avons été induit en erreur par la note a, p. 414, tom. LXXXVII de cette même Patro-

11 AVANT-PROPOS

logie latine. On JiL, enellet, à cette page, au sujet de ces Cinq Livres des Sentences : « Sed opus e^regium non ampliusexstatneque aliud " ejuspraeterquam hujus epistolœ fia lettre à Eugène) testimonium « ad nos usquepervenit. »

La seconde regarde le légat Eudes de Chàteauroux. A'ous n'avons pas dit, p. 217, que le cardinal Pitra avait placé, au tome II de ses Analecta novissima, Paris, 1888, pp. 188 et suiv. , plusieurs des Sermons d'Eudes de tempore et de sanciis.

La troisième omission est relative à Jacques de Vitiy et à ses Sermons vulgaires. Nous n'avons, non plus, mentionné, p. 243, que le savant cardinal avait également placé dans le même volume des Analecta novissima, pp. 346 et suiv., des Selecta e.r sermonibus vulga- ribus.

Des Etudes nouvelles sur Mancgold de Lutenbach, œuvre de M. N. Paulus et publiées par lui dans la Revue catholique d'Alsace en avril, mai et juin 1886, avaient échappé à nos recherches. Ces études sont basées sur un manuscrit de la bibliothèque de Carls- ruhe. Ce manuscrit renferme la première apologie écrite par Ma- negold en faveur de Grégoire VII et contre Henri IV, ouvrage que nous croyions perdu et qui vient de prendre place, sous le titre de Manegoldi ad Gebehardum liber, dans les Monumenia Germani.T liistorica, Libelh de lite imperatorum et ponti/icum scecnlis XI et XII ronscripti, tom. I, Hanovre, 1891, pp. 308et suiv. D'après ces études, il semble que "l'exposition traditionnelle de la vie et des œuvres de Manegold » doit être modifiée et que, « au lieu d'un Manegold unique, les documents historiques semblent en exiger deux. » Ainsi parle M. N. Paulus à la première page de son travail. Nous avons lu ce travail et nous partageons l'opinion très probable de l'auteur.

Dès lors, il conviendrait d'attribuer à Manegold de Lutenbach, distinct du célèbre professeur, ce que, dans notre premier vo- lume, pp. 33 et suiv., nous avons dit de ce dernier relativement aux deux monastères de Reittemberg et de Marbach, h la double défense du Saint-Siège, ainsi qu'au pays natal.

Quant à notre professeur, on ne saurait assigner ni les lieux de sa naissance et de sa mort, ni les années de l'une et de l'autre.

Dans notre premier volume, p. 164, nous avons parlé cVun Liber de causis attribué à Gilbert de La Porrée. Dans celui-ci, pp. 126 et suiv., nous mentionnons et apprécions un autre Liber de cuisis dont le véritable auteur ne smraitètre positivement désigné. Ces dernières pages étaient imprimées, quand nous avons pris con- naissance de la très remarquable thèse de M. l'abbé Berthaud, Gilbert de La Porrée.

«Jet écrivain s'efibrce d'établir qu'il n'y a qu'un Liber de causis,

AYANT-PROPOS (II

ol c'esl celui que nous venons de signaler en second lieu, pai- con- séquent le Irrs déleclueux Lihcr au point de vue doctrinal.

Mais pourquoi vouloir atti'ibuer à Gilbert de La Porrée des pro- positions aussi peu orthodoxes? On trouvera les principales aux endroits indiqués de ce second volume.

En voici (fuoiques-unes résumées par M. Berîhaud lui-même d'après le manuscrit de Bruges :

XV « Toutes les formes infinies dépendent de l'inlini absolu « qui est la force des forces. »

XVI. « Plus une force se rapproche de Tunité, plus elle est infinie. ><

-~ XVIII -< Parmi les intelligences est iinlelligence divine qui •' reçoit en abondance de la cause première les faveurs divines. "

XXIV. « Les substances intellectuelles caractérisées par lu- " nité ne sont pas engendrées d'une autre substance. »

XXX. «Entre les substances dont l'essence et l'action sont « éternelles, et les substances dont l'essence et l'action sont tem- " porelles, il va les substances dont l'essence est éternelle et (' dont l'action s'exerce dans le temps. "

Assurément, il y aurait eu matière à condamnations pour le moins aussi évidemment ijue dans les propositions sur la Sainte- Trinilé? Or, le Concile de Reims a condamné celles-ci et gardé le silence sur celles-là.

X'est-il donc pas plu.^ simple, plus logique d'admettre deux Liber de caiisis dont l'un orthodoxe et Vautre hétérodoxe, dont le premier est/dû à la plume de Gilbert de La Porrée, et le second à une plume problématique?

Les indications bibliugra[)hiques consignées dans V Avant-Propos, p. Il-III, du volume précédent seront applicables à celui-ci.

Deux revues allemandes auraient désiré, en outre, la lisie des auteurs etdes ouvrages consultés. Mais, pour éviter des redites car dans le cours de cet ouvrage nous puisons souvent aux mêmes sources nous avons préféré dresser une liste générale à la fin du quatrième volume qui termine le moyen-âge.

aussi, il y aura une table générale des matières par ordre alphabétique.

PREMIÈRE PARTIE

PHASES HISTORIQUES

LIVRE I

DÉVELOPPEMENTS DE LA FACULTÉ

CHAPITRE I

I. Collège de Sorbonne. II. Trois autres collèges séculiers. III. Collèges réguliers.

I COLLÈGE DE SORBONNE

Ce nom rappelle le plus célèbre des collèges du moyen- ;\ge. Nous avons à en tracer les origines" et Torganisation.

FONDATION (1257-1258)

Docteur remarqué, prédicateur de renom, Robert de Sorbon avait attirer les sympathies et la confiance de Louis IX.

Son intelligence élevée conçut un noble projet; la généro- sité de son âme, sa haute situation à Paris, des concours dé- voués rendirent possible l'œuvre grande et glorieuse à laquelle son nom resta attaché (1).

d' Nous allons, pour ce point d'histoire, puiser beaucoup dans le ma- nuscrit : Sorbome origines, disciplina et viri illustres, omrage dontHéraere est l'auteur.

Les Sorbonx oriyines se trouvent à la Bibl. nat., nis. lat. aAg-'. et à celle de l'Arsenal, ms. 1166.

Le manuscrit de l'Arsenal porte, au commencement, cette attestation :

2 DÉVELOPPEMENTS

L'on aime à faire naître le collège de Sorbonne d'un sou- venir et d'un désir de Robert : le souvenir des difficultés par lui éprouvées pour obtenir le grade de docteur, le désir d'épargner de pareilles épreuves à quelques pauvres écoliers. A notre sens, l'assertion est plutôt inspirée par le sentiment que par la vérité historique. Que ce souvenir et ce désir soient entrés pour quelque chose dans le projet, nous n'entendons pas le nier; mais nous estimons que ce n'a été que très secon- dairement. N'eût-il pas suffi alors de modeler le nouveau col- lège sur les autres, c'est-à-dire d'y fonder des bourses, ce qui, au point de vue adopté, était Taffaire capitale? Pour nous, la raison première de la fondation est ailleurs.

Aux yeux de Robert, il y avait une lacune à combler dans l'organisation de l'enseignement universitaire. Les deux prin- cipaux ordres mendiants, les Dominicains et les Franciscains, avaient à Paris chacun un collège avec des chaires acces- sibles, et gratuitement, aux écoliers du dehors (1). Pourquoi l'Université n'offrirait-elle pas les mêmes avantages? Pour- quoi abandonnerait-elle à ces religieux l'honneur de la gra- tuité de l'enseignement? D'ailleurs, la lutte était déclarée entre elle et ces deux ordres, dont les Dominicains formaient la vaillante avant-garde. Combattre à armes égales, n'est-ce pas une des premières lois stratégiques? Et, pour rendre aussi parfaite que possible cette égalité nécessaire, l'ensei- gnement serait donné par une société de professeurs consti- tués, à part les vœux, suivant les règles de la vie cénobi- tique. Mais, en faisant plus que les autres collèges séculiers

« Ce manuscrit a appartenu à M. Ladvocat, bibliothécaire de Sorbonne, le- quel avoit inséré un petit papier dans une des pages, avec cette note : « Ce « livre m'appartient ; il m'a coûté dix écus ; il à été composé par M. Hé- a méré. Je l'ai acheté des héritiers de M. Ladvocat pour la bibliothèque.» Au-dessous et après la signature Adhevet ou Ad. Hevet : « Je soussigné reconnois avoir entre les mains un manuscrit apparte- nant à la succession de feu M. Ladvocat, lequel a pour titre : Sorhonse origines, disciplina, viri illustres. » ^

Edmond Richer a écrit : De Collegii Sorbonici institutione, dans son ou- vrage inédit : Historia Parisioms Academiœ, B. N., ras. lat., 9943-9948, tom. I, pp. 4oo et suiv.

(i) Un assez grand nombre d'écoliers externes suivaient ces leçons, dont les Dominicains, en ce qui les concernait, inscrivaient la gratuité au frontispice des salles : « . , , addito eodem illico frontispiciis auditoriorum quo se gratis suam litteraturam tradituros esse promittereut. » {Sorbonx origines..., cap. l.)

DE LA FACULTÉ 3

SOUS le rapport intellectuel car c'étaient des internats d'où l'on se rendait aux cours publics on ne devait pas vouloir donner moins sous le rapport matériel : dans le nouveau col- lège, il y aurait aussi des élèves boursiers. Nous venons, croyons-nous, d'indiquer la pensée-mère du célèbre établisse- ment tliéologiquc (1).

Robert possédait plusieurs maisons dans la rue Coupe- Gorge ou Coupe-Gueule noms significatifs (2) près du palais des Thermes (3). Il les affecta à l'œuvre projetée. Le roi lui fit don d'un immeuble voisin comprenant l'ancienne habitation de Jean d'Orléans avec des é-tables qui étaient con- tiguës (4). Un peu plus tard, en échange de ses maisons situées rue de la Bretonnerie, et par lui, sur la demande du roi, cé- dées aux religieux de Sainte-Croix, Robert obtenait de Louis IX d'autres maisons qui se trouvaient proche du nou- veau collège (5). Ce ne furent pas les seules libéralités royales soit présentement, soit dans l'avenir. Il y eut encore des

(i) Ce sentiment est, du reste, celui d'Héméré à la fia du chapitre II des Sorbonœ origines : « Erat enim futurum, ut constitutae permansurae- « que sedesquietem llteris et maglstris certam procurareni, et illa vitae « studiorumque communio... conciliaret authoritatem doctori et ad se « facile candidatos alliceret... Itaque si paribus armis a?qualique utrin- « que conditione monachi saecularesque magistrl illa in arena decerta- « rent... Hoc primus in lycœo Parisiensi vidit Robertus... »

(?.) Suivant l'opinion commune, cette rue devint la rue des Deux-Portei, puis la rue de la Sorbonne.

(3) Réméré, Sorft. orig..., cap. III.

(4) Hist. Uîiivers. Pam., tom. III, p. 224, l'acte est reproduit : «Lu- « dovicus, D. G. Francorum rex..., notum facimus quod nos M. Roberto « de Sorbona, canonico Cameracensi, dedimus et concessimus ad opus « scholarium qui inibi moraturi sunt, domum quîe fuit Joannis de Aure- « lianis cum stabulis, quse fuerunt Pétri Point-Lame, contiguis eidem do- « mui : qu» domus oura stabulis sita sunt Parisiis in vico de Coujie « Gueule antepalatium Thermarum. »

Nous avons remplacé, Poulaine ou de Povilana, par Point-Lasne, nom qui se trouve dans le texte original : quœ fuerunt Petn Pointlane, et qui est celui d'une famille, connue alors à Paris.

(5) Hist. Univ. Paris., tom. III, p. 224-225, l'acte est reproduit : « ... Nos in escambium et reconiponsationem... concedimus in perpe- « tuum jure haereditario possidendas omaes domos quas habemus in a vico de Co 'pe-Gueule... et etiam quasdam domos sitas... in fine altenus « vici eidem oppositi... »

L'acte est daté du mois de février 1 258, c'est-à-dire 1269: « Actum Parisiusan. Dom. i258, mense februario ».

Bien que ce ne soit pas exprimé, l'échange se faisait évidemment en vu© de l'école établie par Robert de Sorbon.

4 DÉVELOPPEMENTS

échanges d'immeubles (1) et même de revenus (2). Il y eut aussi d'autres dons, car nous lisons dans la Vie de saint Louis par le confesseur de la reine Marguerite : « Li benoiet rois fist « acheter mesons qui sont en deux rues assisses à Paris de- « vaut le paies des Termes, esqueles il fist fere mesons « bonnes et granz, pour ce que escoliers estudianz à Paris « demorassent ilecques à tozjors..., et encores de ces mesons « sont aucune loées à autres escoliers, desqueles le pris ou le « louage est converti au proufit des poures escoliers devant « diz; lesqueles mesons coustèrent au benoiet rois, si comme « len croit, quatre mille livres de tornois » (3). Guillaume de Chartres, chapelain de Louis IX, assignait, de son côté, la même destination à cinq immeubles qu'il avait nouvellement el à cet eiïet acquis dans le quartier (4). Ses collègues à. la cour, Jean de Douay et Robert de Douay, chanoine de Senlis, se montrèrent également généreux : celui-ci donnait des sommes importantes et de son vivant et à sa mort; celui- fut plus libéral encore (5). Par suite de ces divers échanges et concessions et d'acquisitions nouvelles, nous pouvons dire que Robert de Sorbon était devenu, pour son

(i)Sort. o/'ù/.,., cap. III, eu l'année lafi-î : « Eae sunt domus quas el- « dem, ut dictum est, concessimus : domus nostra... sita ante palatium « Thermarum et etiam omnes domus quas habebamusin vico Latomorum « [rue des Maçons) similiter ante palatium Thermarum... »

(a) Dans le premier acte de donation de Louis IX, il est dit : « Prseterea « permntavimus cum dicto maglstro decem solidos augmentati census X quos hahebamus super granglam ([uœ fuit Joannis de Balneolis sitam « in dicto vico, ad decem solidos augmentati censiis, quos idem magis- « ter liabebat super domum, quae fuit Philippi de Foateneto, in eodera u vico sitam. »

(")) Recueil des hist. des Gaiil. et de la Franc., tom. XX, p. 93.

(4) Sorbonccorig..., cap. IV: il achetait ces maisons «sub eadem clausula ad opus araici sui in vico positas »; Mercure, oct. 1748, p. 217. Ce fut en 1254-1255.

(5) Le testament de Robert de Douay fit croire à Piganiol de la Force (Description historique de la ville Paris, 2" édit., Paris, 1765, tom. VI, p. 32i) que ce dernier était le vrai fondateur de la Sorbonne. Mais Lad- vocât, bibliothécaire de l'antique collège, réfuta victorieusement Piganiol dans le Mercure du mois d'octobre 1748. Pièces en main, il établissait que le legs de Robert de Douaj' était du mois de mai i258 et la fondation du collège incontestablement antérieure ; que Piganiol avait mal lu, car le legs visait l'instruction de nouveaux écoliers, novorum scholarium, ce qui supposait le collège déjà en exercice.

DE LA FACULTÉ 5

école, possesseur d'une grande partie de ce côté de la cité (1).

Aidé matériellement par des âmes généreuses, Robert le fut aussi intellectuellement par des maîtres distingués. Les noms, pour citer les principaux, de Guillaume de Saint- Amour, Gérard d'Abbeville, Henri de Gand, Guillaume des Grez, Laurent TAngiais, Odon ou Eudes de Douay, Chrétien de Beauvais, Gérard de Reims, Nicolas de Bar sont insépa- rables soit des premières chaires de la Sorbonne, soit de la première association qui la constitua. (2) Ces savants appar- tenaient déjà, comme professeurs ou à un autre titre, au corps universitaire. C'étaient d'inflexibles opposants à l'en- trée des ordres mendiants dans ce corps. N'ayant pu réussir et trouvant une excellente occasion de faire aux nouveaux venus une active et efficace concurrence, ils la saisirent avec d'autant plus d'empressement. Leur concours fut donc assuré à l'œuvre naissante .

Le collège était fondé. Mais peut-on préciser l'année de la fondation?

Jusqu'à la découverte du texte original de l'acte de Louis IX en faveur de Robert, la réponse à la question était assez dif- ficile, à cause de l'incertitude sur la date de ce document. Les uns assignaient 1250, d'autres 1256, d'autres 1253. On pouvait se croire mieux autorisé à adopter l'année 1253, comme nous l'avons fait nous-même dans un article du Bulletin du Comité (fhifitoire et d'archéolor/ie du diocèse de Paris, janvier 1884, par- ce que cette année avait pour elle de plus concluants témoi gnages. (3 Aujourd'hui, tout doute doit disparaître. D'un

(i) Sorbonse origines..., cap. IV et V.

L'Histoire litttraire de la France, tom. XIX, p. .5oo, range parmi les bienfaiteurs du collège un certain évèque d'Apt, qui aurait fait don de deux maisons situées rue de l'Hirondelle; mais les Sorhonœ origines, cap. III, se bornent à dire qu'il en fut possesseur ; ■< Qusp H. fuerunt Aptensis episcopi. ..)! Ces maisons, possédées en dernier lieu par Robert de Sor- bon. furent comprises dans l'échange de ii>6ô avec le roi.

(a) Bibl. de l'Arsenal : Ms. lat. 1022, Bomus et societalis Sorbonicœ hislo- ria, par. III, pp. i4. ^7, <)t, 28, 27, 5o; Ms. lat. 1020, BibUotheca Sorbonica seu liber de scriptoribiis Sorbonicis, pp. 5, 20, 5i, 12, i4, li), 'm ; Hist. Univ. Paris., tom. III, p. 686.

A la Biblioth. de l'Ars., le ms. lat. 1021 est le même que celui côté 1022. Nous renvoyons ici à ce second.

(5) Au i" fol. du Registre original des prieurs de Sorbonne, Bibl. nat., ms. lat. 5494 \. du xv' siècle, se trouve la liste des jours le prieur devait faire une conférence in arda Sorbonx . Or, nous y lisons : « In

6 DÉVELOPPEMENTS

côté, l'acte de donation du roi Louis IX est certainement de février 1257 ^1). De Taulre, le testament de Robert de Douay, nous l'avons mentionné, date du mois de mai 1258. Le premier a pour but de venir au secours des futurs écoliers : « Ad opus scholarium qui inibi moraturi sunt. » Le second, visant l'instruction de nouveaux écoliers : « novorum scholarium », suppose le collège déjà existant. La réponse est donc : 1257 ou commencement de 1258.

ORGANISATION

L'administration du collège appartenait naturellement à Robert. Pendant vingt ans, l'habileté de l'administrateur ne fut pas au-dessous de la générosité du fondateur.

Dès le principe, y eut-il au moins, comme depuis, six pro- fesseurs de théologie? Ladvocat le dit (2). Nous lui laissons la responsabilité de l'assertion. Quant au nombre d'élèves, il fut proportionné à Tabondance des ressources. Du Boulay (3) et

(( vigilia S. Ludovlci francorum régis, sub quo fundata fuit domus de « Sorbona anno domini i->52... »

Le yécrologe, cité par M. Franklin, La Sorbomie, Paris, 1875, p. 10, contenait au liô'' jour d'août cette proposition : « Fundata fuit domus nostra anno laôô. »

Le Cfttalnijue des 2)rovisews, transcrit par le même historien et dans le même ouvrage, p. ir.i, avait consigné la même date, soit 1^55.

Une inscription qui se lisait sur une pierre dans la salle des actes du collège, était ainsi tracée suivant Pasquier, Recherches sur la France, liv. IX, ch. XV : « Lodovicus, rex francorum, sub quo fundata fuit domus Sorbona circa anuum Domini ia55... » Ce dernier historien parle aussi d'un calendrier qui, au -.l'i août, rappelait la fête de S. Louis, « sub quo fundata luit domus de Sorbona, circa annum iibô... » Pour être moins précis, ces deux témoignages ont été estimés une sorte de confir- matiir. Si du Boulay, Hist. Univ. Paris., toni. in, p. -224, en reprodui- sant l'uiscription, transcrit : « Circa annum domini MCCLH... », Dubois, Hist. Ecoles. Pans., tom. 11, p. 4i'>. conserve à linscription la date de MCCLIII.

Enfin, Héméré, Sorh. ovvj.., cap. 11, in fine, dit de l'année laSô que « natalis est fundatte scholse societatisque Sorbonensis. »

(i) C'est grâce aux recherches du P. H. Denifle que l'original a été retrouvé aux Archives nationales. Il porte : « Acmm Parisiis anno mil- lesimo ducentesimo quinquagesimo sexto, mense februarii », c'est-à- dire en i2'>7. (Mém. de la Sociét. de Vhist. de Paris et de l'ik de France. om. x, i885, pp. 044, ofia).

(2) Diction, hist. portât., art. Sorbowie ou Sorbon.

] Hist. Univers. Paris. j tom. m. p. 225.

DE LA FACULTÉ 7

Grévier, après lui (11, tiennent, il est vrai, au chiffre de seize et se plaisent à tirer quatre pauvres étudiants de chacune des quatre nations. Mais raffirmation paraît, à bon droit, fantai- siste à Ladvocat. Suivant ce dernier, qui prend ses renseigne- ments dans les archives de la maison, les premiers Sorbon- nistes auraient rapidement dépassé le chiffre de trente. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que les professeurs faisaient alors plutôt des largesses au collège qu'ils n'en recevaient des rémunérations. Les boursiers durent donc se prendre en de- hors d'eux. Or, il y eut au commencement dix boursiers, nombre qui, bientôt après, grâce aux libéralités de l'évêque de Tournay, fut porté à quinze; un Sorbonniste mandait à un autre, par une lettre de 1258, qu'outre les appartements d'en bas l'établissement avait vingt belles chambres en haut; et le registre du procureur, au temps de Robert, mention- nait trente-six couverts d'argent pour le service de la table (2).

Le Saint-Siège recommandait le nouvel établissement aux prélats et aux fidèles. Ce fut l'objet de deux lettres pontifi- cales, l'une d'Alexandre IV (4 août 1259), l'autre d'Urbain IV (22 juin 1262) (3). Encore quelque temps, et l'approbation apostolique allait être accordée. Le 23 mars 1268, Clément IV adressait, à cet effet, une bulle « à son cher fils le proviseur des pauvres maîtres et aux maîtres eux-mêmes, étudiant dans la faculté de théologie aux portes du palais des Thermes et menant la vie commune ». Les possessions du collège étaient en même temps garanties. L'acte pontifical prévoyait aussi le cas de vacance dans le provisorat par la mort du proviseur actuel, et imposait de sages et nombreuses conditions à la nomination du successeur : il faudrait l'approbation de l'ar- chidiacre et du chancelier de Notre-Dame, des docteurs régen- tant en théologie, des doyens des facultés de droit et de médecine, du recteur de l'Université et des procureurs des quatre nations. Chaque année, le futur proviseur serait obligé

(i) Hist. de rUnivers. de Paris, tom. i, 49^'

(i) Diction, hist. port., art. Sorbonne ; Bibl. de l'.^rs. ms. 1022, p. y Au sujet de la libéralité de Tévèque de Tournay, ce manuscrit porte « rogatis in hoc opus libellis Parisienslbus quingentis. »

(5) Voir ces deux lettres dans l'Index chronol. chartar . pei'tinent. ad hist. Univers. Paris., pp. 25 et 27, par M. Jourdaiû.

8 DÉVELOPPEMENTS

de rendre ses cornistes devant ces dignitaires; et ceux-ci, en toute circonstance jugée utile, demeureraient armés du droit de destitution (1).

Au collège théologique, Robert avait le projet de joindre un collège littéraire, projet qu'il réalisa aussitôt que les cir- constances et les ressources le permirent. 11 y avait, entre son établissement et la demeure des chanoines de Saint-Etienne des Grès, un immeuble qui appartenait à un certain Guil- laume de Gambray, chanoine de Saint-Jean de Maurienne. Cet immeuble était à la convenance de Robert, qui s'entendit avec Guillaume sur le prix, et le marché fut conclu en 1271. Nous venons de dire l'origine du collège de Calvi ou de la Petite-Sorbonne ("J).

Le Dieu des sciences ne pouvait être oublié par le savant et pieux fondateur. Lui consacrer un temple, n'était-ce pas obéir à la loi de la reconnaissance et attirer encore sur le cher éta- blissement d'amples bénédictions? D'ailleurs, toute commu- nauté qu'unit le lien religieux a sa chapelle, ses offices. Au désir si légitime de Robert, l'évêché de Paris opposait-il des difficultés? ou bien, ce qui paraît plus vraisemblable, le col- lège aspirait-il après des immunités que seule Rome pouvait accorder? Toujours est-il qu'une bulle était signée par Urbain IV, la deuxième année de son pontificat, pour charger l'ordinaire d'octroyer, au nom du Saint-Siège, et sans préju- dice des droits d'autrui, à la susdite congrégation, le double pri- vilège d'un oratoire et des offices. La Imlle obtint son effet (3).

(i) Voir cette Imlle dans le Thesaur. nov. imecdot. de Martène et Durand, tom. ii, col. r)8ô-r)8V

(2) Sorbon. or'm..., cap. XVII. En écrivant : Guillaume de Cambray, nous avons suivi: du Breul, Thèdirc des antiquitez. de PariSy Paris, iG5(j,p.469 ; Suma], Antiquités de lu ville de Paris, tom. 11, p. ôy-.). ; Ladvocat, Dic- tion, hist. port., art. Sorbonnc. Nous avons préféré cette leçon à celle des Sorbonw ori'jines, qui portent : Guil. de Cambcrùu-o, Gidl. de Cham- bérif. Les relations dp, Robert étaient surtout avec les liommes du Nord. L'Histoire lUléraire delà France, tom. xrx, p. 297, s'en est tenue à Guil- laume de Cliambéry. Le contrat date, dit du Breul, du « jeudi d'après le dimanche de Quasimodo, comme il est escrit au papier terrier de .Mes- sieurs de Sorbonue. )>

(5) Sorbonœ origines. . . , cap. xvi, la buUi^. est transcrite. « Lîetanter « audivimus, disait-elle, quod exdivina, ut creditur, plantatione in horto « Parisiensis stndii congregatio qufedam pauperum, quasi novella plan- « tatio, est exorti ; quae... se cominuniter ipsius Scripturse studio depu- « tavit, per quem Facultatis tlieologioe studium magnifiée dilataudum spe-

DE LA FACULTÉ 9

A la commiinuiité relig"ieusc roraloire, an personnel sco- laire lu bibliotliî'que. La formation d'ane bibliothèque ne préoccupa pas moins l'esprit de Robert que l'érection d"un oratoire, et. Dieu merci! le succès répondit également aux va^ux. Parmi les âmes généreuses qui vinrent au secours du fondateur par des dons de livres, nous avons encore à citer Robert de Douay et Gérard d'Abbeville (1). Le local, élevé à distance des lieux habités, avait quarante pas de long- sur douze de large. Trente-huit petites fenêtres mé- nageaient l'entrée de la lumière. Des chaînes attachaient les volumes sur leurs tablettes, mais de façon à pouvoir per- mettre de les poser sur des pupitres placés devant. La loi qui régit, dès les premières années, le précieux dépôt, nous est connue. Elle fut, selon toute vraisemblance, lœuvre de Ro- bert. Elle comprenait treize articles : il était défendu d'entrer dans la bibliothèque sans robe ni bonnet {iiisi togatus et pilca- tus ; interdite aux enfants et aux illettrés, elle s'ouvrait aux personnes recommandables c[ui étaient présentées par un des sociétaires, mais à la condition de n'y pas introduire leurs valets; le bibliothécaire en gardait scrupuleusement la clé sans jamais la prêter; on devait n'apporter ni feu ni lu- mière, n'emporter aucun livre sans permission, n'écrire sur les marges des volumes, n'en plier les feuillets; le silence était pres/jrit: les maîtres et les docteurs pouvaient seuls, et en cas de besoin et non par curiosité, prendre connaissance des livres condamnés (2).

Dix-huit ans d'expérience attestèrent au prudent proviseur

« ratur... Ex parte... coagregationis ejusdeni fuit nobis humiliter sup- « plicatum, ut eis construendi oratorium in vico praedicto et faciendi ad « eorum opus item diviaa officia celebrari p^r aliquem idoueum sacer- « dotem licentiam concedere dignaremur. Volentes igitur tibi, qui loci « diœcresanus existis,in hac party déferre fraternitati tuae,per apostolica « scnpta mandamus quateaus congregationi prsedictse licentiam hujus « raodi auctoritate nostra concédas sine juris praejudicio alieoi. Daium « apud urbem veiereni,lV nouas niaii, poniificatus uostri anno II. »

(i' L'on a conservé les noms de quelques autres bienfaiteurs do la bibliothèque, tous personnages plus ou moins inconnus. (V. M. Franklin, les Anchiwies Bibliothèques de Paris, tom. i, p. 2Ô0-2.51 .

Gérard d'Abbevillo léguait, par un testament de 127 1, ses livres aux étudiants en théologie séculiers, et non religieux, parce que les étu- diants religieux en avaient assez, « quia satis habent ». {Index chron- charl..., déjà cité, par M. Jourdain, p. 5.;

(2) Sor6. orig..., cap. xv.

10 DÉVELOPPEMENTS

la sagesse de ses prescriptions ou de ses mesures administra- tives, prescriptions ou mesures que, du reste, il avait adoptées après avis d'hommes éclairés et vertueux (1). Le moment lui sembla donc venu de codifier tout cela pour en faire la règle de la maison. Les années qui s'accumulaient sur sa tête lui en faisaient d'ailleurs presque un devoir. Cette règle, com- prenant trente-huit articles, avait pour objet ce qui regardait la vie commune, depuis le silence, assez peu rigoureux au réfectoire, jusqu'à la simplicité des vêtements autorisés, jus- qu'aux peines qui frapperaient les transgresseurs (2). Robert ajouta à ces articles la formule de trois serments que les so- ciétaires devaient prêter. Par le premier, les sociétaires s'en- gageaient en général à l'observation de la règle; par le se- cond, au respect du proviseur et à la confraternité entre eux; par le troisième, au soin scrupuleux et à l'usage régle- mentaire des livres (3).

Besoin n'est pas de peser chaque mot de l'appellation pri- mitive, pour plusieurs assez énigmatique, de la société. Ces expressions : Pauvres maîtres étudiant en théologie nous sem- blent révéler deux caractères essentiels ou premiers de la congrégation : l'égalité et la pauvreté ; l'égalité si parfaite entre les maîtres et les élèves, qu'elle les confondait sous un nom commun ; la pauvreté de ceux-ci, puisque la plupart étaient boursiers, la pauvreté de ceux-là, puisque, contents du strict nécessaire, ils renonçaient à toute autre rémunéra-

(i) Art. 1 de la règle : « Volo quod consuetudo, quse ab initio in liac domo de bonorum consilio instituta fuit, omnino servetur.

(2) Cette règle a été imprimée par le P. Denifle dans son Chartularium Universitatis Parisicnsls, tom i, pp. 5o5-5o8, avec des statuts postérieur» De officiù subprocwatonim, p. 5o8-5i4.

(ù) « I. Curabit quod consuetudines et régulas et statuta pro posse suo M observabit et correctioni provisoris subjacebit ;

« II. Quod bouam pacem, honorem et famam provisoris et sociorum « domus bona fide, juxta posse suum, observabit, nec faciet aut machi- « nabitur per se vel per ulium contra dictam pacem, honorem et famam ;

« III. Quod libros de domo tanquam proprios custodiet et intègres « reddet, quando continget ipsum de villa exire et etiam quando exigetur «( ab eo, nec extra domum commendabit eos, nisi de liceutia provisoris « vel ejus qui, quantum ad hoc, vices ejus gerit. »

Ces serments se lisent dans les deux manuscrits de l'Arsenal 1021 et 1022 à la suite des Statuts de Robert de Sorbon, pp. 8 et suiv. et pp. 10 et Buiv. et sont précédés de ces mots : « His et praedictis legibus Robertus « juramenta addidit.. . « .. Haec autem sunt totidem ex supra dicto « veteri libro prions deprqmpta ».

DE LA FACULTÉ 11

tion professorale Cette égalité a toujours été scrupuleusement maintenue, observée ; et cette parole n'a cessé d'être répétée parmi les Sorbonnistes comme une sorte d'axiome : Otnnes nos s?nuussorii et œquales. La pauvreté a toujours été estimée par la Sorbounc une de ses gloires les plus pures (11 ; et jusque dans les derniers temps on disait avec orgueil dans les actes théologiques : Paupcreni nostram Sorhonam (2).

Cependant, il faut le dire, l'égalité et la pauvreté furent aussi, en général et dans une mesure plus ou moins large, les marques distinclives des autres établissements universi- taires.

Rien de plus simple que la composition de la société, telle que Ta conçue Robert : un proviseur, des sociétaires et des hôtes.

Le proviseur était la tête : on ne pouvait rien faire sans le consulter; il donnait l'institution aux élus de la société et confirmait les statuts dressés par elle ; en un mot, comme son nom l'indique, il devait pourvoir à tout. Nous connaissons le mode prescrit par Rome pour l'élection du successeur de Robert.

Les sociétaires (socii) formaient le corps de la société. Pour être admis, il fallait avoir professé un cours de philosophie. Il y avait deux sortes de sociétaires : les boursiers et les pen- sionnaires/. Ceux-ci payaient annuellement quarante livres parisis ; pour ceux-là, la maison se chargeait des frais, en prélevant sur ses revenus une somme équivalente. La bourse ne pouvait s'accorder qu'à celui qui ne jouissait pas de qua- rante livres parisis de revenu. Il y avait un primus inter pares, le prieur, dont le privilège était de tenir le premier rang en tout ce qui concernait l'intérieur de la maison, et les fonc- tions d'inscrire les sociétaires sur le catalogue, d'indiquer l'ordre des exercices théologiques, de veiller sur le dépôt des

(i) La qualification semblait aussi adoptée par le public : qu'on ait dit société ou collège d'abord .< pauperum magistrorum ad Duas-Portas », puis (( pauperum magistrorum de Sorbona », ou encore <( pauperum scholarium de Sorbonio », l'adjectif aimé trouvait d'ordinaire sa place. {Sorhonx origin,.., cap. vu; Bibl. de l'Ars., ms. loaa, p. 8).

(a) Même ms. 1022, p. 8 : »... vigetque etiam nunc prsefandi for- « mula, cum disputatur in aclibus theologicis, pro antiqua consueLudine, (( quae semper fuit inter regiara Navarram et pauperem nostram Sorbo- « nam... »

12 DÉVELOPPEMENTS

règlements. Cette charg-e était élective et annuelle. L'élection appartenait aux sociétaires. En principe, les docteurs et les bacheliers étaient éligibles ; mais, grâce au nombre de ceux- ci, l'usage s'établit aussitôt de ne choisir que des bacheliers et il finit par obtenir force de loi (1).

Les hôtes (hospites) étaient plutôt des candidats à l'incorpo- ration que des membres de la société. Matériellement et intel- lectuellement, ils jouissaient des mômes avantages que les sociétaires ; ils avaient la table, le logement, les livres, les exercices religieux et scolaires. Mais ils étaient privés du droit de suffrage. La condition remplie, c'est-à-dire le cours de philosophie professé, ils pouvaient passer dans la classe des sociétaires.

Le cours des études eml^rassait dix années. La bourse était accordée pour ce même laps de temps. Mais si, au bout de sept années, on ne donnait pas de preuves de capacité, soit pour renseignement, soit pour la prédication, on cessait d'en bé- néficier (2).

Faut-il ajouter car ceci ressort avec évidence du but pre- mier qu'on s'était i\yi(} dans l'établissement même du collège et est assez clairement supposé par les écrivains qui ont traité de la Sorbonne faut-il ajouter que, s"il y avait, chose toute naturelle, des exercices scolaires particuliers pour les internes, les leçons ordinaires étaient publiques, con- séquemment se trouvaient suivies par des étudiants qui n'appartenaient à aucune des deux classes de Sorbon- nistes? Robert autorisa même, nous dit Ladvocat, les doc- teurs et bacheliers à prendre chez eux d'autres élèves dénués de fortune, et il voulut que la maison assurât à ceux-ci certains avantages (3).

Nous écrivions tout à Tlieure le mot prédication. Le fonda- teur de la Sorbonne, en effet, avait aussi assigné pour seconde mission à la société naissante Tévangélisation des

(i) « Ad hunc(magistratuin) assumuntur soli baccalaurei lege non tam scripta quam tradita » ; et encore : « Qui domi manerent, nonnulli qui <c dem magistri doctores, sed longe plures erant socii nondum ad gradus « promoti, qui e suorum numéro priorem semper elegerunt, nunquam « doctorem. » (Bibl. de l'Ars., ms. looj. pp. g et loj.

(a) Bibl. de l'Ars., ms. 1022, pp. 7 et suiv. ; art. 22 de la règle de Robert.

(3) Dictionn. hist. portai.

DE LA FACULTÉ . 13

paroisses (1). Pour se préparer à celte mission apostolique, ou plutôt pour montrer (jifon (Hait ou qu'on deviendrait apte à la remplir, des sermons ou (•(»nrérencesfro//«//o;i^.sV étaient, en certains jours et en présence de la comnnmauté, imposés aux sociétaires (2).

Le côté puremiMit spirituel n'avait pas été oublié. Des con- férences sur ce point important de la vie chrétienne et sacer- dotale étaient faites, sinon exclusivement, du moins spécialo- ment aux internes. L'orateur ordinaire devait être, comme plus tard, le prieur. L'éloquent proviseur prenait aussi la parole devant l'intéressant et sagace auditoire.

Grande était, en môme temps, la prospérité matérielle du collège. De nouvelles donations venaient s'ajouter aux an- ciennes. En 1264, le bailli de Saint-Valery-sur-Somme fon- dait deux bourses pour des maîtres d'Amiens (3). L'année suivante, suivant toute probabilité, saint Louis assignait dans son testament cent cinquante livres (4). Un chanoine de l'ordre du Val des Ecoliers transmettait, en sa qualité de co-exécu- teur du testament d'un chanoine d'Amiens, quelques immeu- bles et cinquante-deux livres parisis (5). Jean de Douay, devenu un des sociétaires, avait, dès 1266, constitué Robert héritier de tous les biens qu'il possédait à Paris et dans la banlieue. Ce testament fut rappelé et confirmé par acte du

(i) Art. 11 de la règle: « Ordinatum est quod illiqui steterunt in domo, « cum expensis domus, provideant sibi ut intra brève tempus se pra^pa- « rent et disponant ad proficiendum in sernionibus publicis per paro- « chias, vel in di^^putationibus et lectionibus in scholis ; alias beneficiis « domus totaliter privabuntur. . . D^ illis vero qui noviter sunt recepti « vel recipiendi sunt, taliter ordinatum est, quod, nisi i)roâcerint in ser- (' monibus, disputationibus et lectionibus, ut dictum est, infra septimum (c annum atempore receptionis suae, similiter privabuntur. . . »

(2, Même ms., p. 16. Ces jours ou fêtes paraissent avoir été ainsi fixés : S. Marc, S. Philippe et S. Jacques, S. Barnabe, S. Laurent, S. Barthé- lémy, Décollation de S. Jean-Baptiste, S. Mathieu, S. Michel, S. Simon et S. Jude, la Commémoration des Morts. Nous ne saurions dire si ces sermons se pronouraient à la chapelle ou ailleurs.

(5) M. Jourdain, Index chronol. rhart...,p. 29: « Noveritis quod in « nostra pra?3entia constitutus magister Robertus de Sorbonio . . . reco- « gnovit in jure coram nobi» se récépissé a viro provido et discrète Wal- « tero dicto Carae, preposito de ludo et ballivo Sancti Wallarici supra « mare, .\mbianensis dyocesis. trescentas libras ïuronensea. . . pro sus- « tentandis duobus magistris Ambianeusis dyocesis.. . »

(4) Acta Sanctorum, 25 aoîit, p. 5o4.

(5) M. Jourdain, Index chron. chart. .., p. 83.

14 DÉVELOPPEMENTS

testateur en 1274 (1). Léguer à Robert, c'était léguer au col- lège. Déjà le généreux fondateur avait cédé par donation entre vifs à sa chère maison tous les immeubles qu'il tenait ou devait tenir en main-morte, jusqu'à son décès, dans la ca- pitale et les environs, vignes, maisons, cens avec ce qui en dépendait. La cession est de l'année 1270. Les autres immeubles n'allaient pas tarder, non plus, à faire retour au collège.

Cet acte de cession, en effet, avait une seconde partie, par- faitement distincte : c'était un testament en faveur de Geoffroy de Bar (2 , alors chanoine de Paris et un des zélés défenseurs de rUniversité, ce qui ne l'empêcha point d'être appelé par Martin IV, en 1281, a revêtir la pourpre romaine (3). Geoffroy était institué légataire de tous les immeubles non tenus en main-morte, vignes, maisons, cens, fief, dont Robert, à sa mort, serait reconnu possesseur dans Paris et aux environs (4). Trois mois après la mort du testateur, le léga- taire entrant dans les vues et même sans aucun doute

(i) Sorb. orig... cap. IV : « Haeredem mpum et possessorem institue « omnium censuum, domorum, vinearum et feudi cum ejus pertinentiis, « qus omnia Parislis et in confinro ejus acquisivi. . . »

(2) Sorb. ong. . ., cap. V.

L'acte de cession, foraprenant à la fois le testament en faveur de Geof- froy de Bar, est ainsi daté : » Actum anno Domini i-i~o in die S. Michae- lis. » Il porte avec le sceau du donateur-testateur celui de la cour de Paris, laquelle l'a enregistré : « In cujus rei testimonium praesentes lit- « teras sigillo curiae Parislensis una cum sigillo ipsius magistri Roberti « fecimus sigillari. »

Il a été en cet état imprimé par du Gange dans ses Observations sur ÏHistoiredc saint Louis par Joinville, Paris, 1668, p. ô6, et par d'Achery, Spicilegium, in-4°, lom. VIII, Paris, i(i68, p. 2^7 : «... omnia bona sua « immobilia quae tenet in manu mortua, videlicet vineas, domos, census « cum eorum pertinentiis quae acquisivit Parisiis seu ia confinio ejus. « vel acquiret in manu mortua usque ad diem mortis ejus, dédit dona- « tione inter vivos congrégation! pauperum magistrorum Parisius stu- u dentium in theologiae facultate. . . , dominium et proprietatem dictorum « bonorum in ipsos pauperes magistros transferendo. »

(3) Sorb. orig..., cap. IV; ms. 1022, de la Bibl. de l'Ars., pirt. III, P- 7-

(4) « Dilectum suum, virum venerabilem magistrum Gaufredum de « Barro, canonicum Parisiensem, post decessum ipsius magistri Roberti « suum constituit haeredem, videlicet aliorum bonorum immobilium quae « non tenet in manu mortua, vinearum, domorum, censuum, feodi.cura « eorum pertinentiis seu appendiciis, quae acquisivit Parisius vel in con- « finio ejus, vel quae acquiret usque ad diem mortis suae, excepta dun- « taxât domo quadam sita in monte S. Genovefae prope domum magistri

DB LA FACULTÉ 15

répondant à la volonté de celui-ci (1), transmettait par dona- tion entre vifs tous ces immeubles au collège (2). De ce fidéiccmmis, si fidéicommis il y avait, la raison nous échappe. Quelques mois plus tard, Grégoire X allait au sujet de cette donation, renouveler et confirmer les précé- dentes décisions apostoliques relativement aux défenses d'aliéner les biens du collège (3).

Mais les meubles, qu'étaient-ils devenus? Il était dit, dans l'acte de 1270, que Roberten avait disposé autrement: Dr bonh autein suis mohilibus per alios ordinavit, ut dicebat. Nous avons pu découvrir cette autre disposition d'après laquelle il léguait encore au même établissement les livres, moins quelques sermons, et la moitié de son argent, c'est-à-dire trente livres parisis. (4)

Fruit de fortes méditations et, à la fois, de l'expérience per-

« Geroldi de Abbatis Villa, de qua aliter ordinavit, ut dicebat..., salvo « sibi, quamdiu vixerit praedictus magister Robertus, in omnibus et sin- « gulis cum proprietate praemissorum usufructu. » Naturellement les dettes étaient à la charge du légataire. La maison exceptée devait passer au neveu de Robert, Guillaume de Sorbonne, pour être transmise, à la mort de C(^ dernier, à la congrégation aes pauvres maîtres. {Sorb. ong. . . art. Robertus de Sorbon, le premier de ceux consacrés aux proviseurs). (i) C'est le sentiment d'Héméré {Sorb orUj. . ., cap. V).

(2) La donation de Geoffroy a été également imprimée par du Gange et d'Achery à la suite de la donation-testament de Robert, dans les ou- vrages précités : «... noveritis quod nosomnia bona, quorum vir vene «c rtbiiis bonse mémorise, magister Robertus de Sorbonio..., suum nos « constituit hasredein, pietatis intuitu in puram et perpetuam eleemosy- « nara donamus donatione inter vivos congregationi pauperum magistro- « rum..., hac conditione apposita quod dicti... teneantur satisfacere « omnibus creditoribus dicti magistri Roberti et omnibus debitis... >> L'acte porte la date du mois de novembre 1274.

(3) La bulle est datée de Lyon, 5 janvier 1274 (Sorb. orig..., cap. V), c'est-à-dire 1275. C'est par erreur, sinon par faute d'impression, que l'Index de M. Jourdain, p. 55, assigne l'année 127.3. En effet, la bulle de Grégoire X vise la donation de Geoffroy de Rar.

(4) Bibl. de r.\rs., ms. 1022, part. IH, p. 3-.5, est transcrit l'acte de la cour de Paris relatant les clauses de cette disposition antérieure, sans en dire la date : « Item legavit congregationi pauperum magistro- « rum... libres sues theologiae, videlioet teitus, questiones, sermones. « exceptis duntaxat quibusdam sermonibus, de quibus fecit executoribus m suis mentionem. Item voluit et ordinavit quod medietas bonorum suo- « rumresiduorum mobilium, solutis debitis et legatis «upradictis, cedat « in utilitatem supra dictorum pauperum... » Ces biens consistaient: « In « quadragenta libris Parisiensibus ex parte una, et vigentilibris Parisien- <' sibus ex altéra. >> Cet acte de la cour de Paris est daté du mois de dé- cembre 1275. Il fut dressé sur la présentattion de la pièce originale par les deux exécuteurs testamentaires.

16 DÉVELOPPEMENTS

sonnellc, la constitution donnée par Robert de Sorbon à son collège a reçu la consécration des âges, car elle les a traversés, toujours respectée par eux, recueillant de loin en loin quel- ques additions seuiement, pour ne prendre fin, sous la hache révolutionnaire, qu'avec la célèbre maison. « Jamais, dit le « savant annotateur de la Description Jtislorique de la Ville de u Paris, il n'a été question de réforme ni de changement en « Sorbonne ; et, sans avoir de principal ni de supérieur, elle « se maintient depuis des siècles dans le même état de splen- « deur et de régularité ». Si Réméré a vu dans le projet la conception d'un puissant esprit : Hoc prinnis in lycœo Pari- siensi vidit Roberliis, ne pourrait-on pas découvrir dans l'exé- cution presqu'une œuvre de génie? (Ij.

II TROIS AUTRES COLLÈGES SÉCULIERS

COLLÈGE DU TRÉSORIER

(1268)

L'érection du Collège du trésorier (2), dans le quartier Saint- André-des-Arts, rue de La Harpe, suivit, à quelques années de distance, celle du collège de Sorbonne : elle date de 1268, d'après la charte de fondation (3). Mais peut-être faudrait-il en faire remonter la première origine à l'année 1266? Toujours est-il qu'en cette année Clément IV autorisait le nouveau col- lège (4). Ce collège était à Guillaume de Saanne (5), trésorier

(i) L'on trouvera, et là, dans Denifle, Chartular. Univers. Paris., tom. I, UQ certain nombre de pièces concernant le collège.

(2) L'on a parfois écrit abusivement : Collège nés trésoriers.

(3) La charte de fondation du Collège du trésorier porte : « Datum anno Domini MCCLXVIII, mense novembri...» (Félibien et Lobineau, Hist de la vil. de Par., tom. m, p. 286).

(4) Denifle, Chartul. Univers. Paris,, p. 458, bulle.

(5) <( Plusieurs auteurs, dit M. de Belbeuf, ont écrit Saône, confon- « dant sans doute cette grande et paisible rivière avec le très-petit fleuve, « nommé Saanne, qui se jette dans la mer près de Dieppe.

« Guillaume de Saanne tirait son nom du Village de Saanne dont il « était Seigneur. » {Notice sur le collège du trésorier, Paris, i86i, p. 4)- Ce village est aujourd'hui Saanne-Saint-Just. Dans la charte de fondation, il y a bien : Guillelmus de Saana.

DE LA FACULTÉ 17

(lel'ég-liso de Rouen (l).Le pieux fondateur marquait le motif déterminant de sa générosité : il se proposait d'être utile aux pauvres, à l'Eglise et, par là, de procurer le bien des âmes (2).

Le collège jouissait de vingt-quatre bourses réservées au pays de Gaux dabord et ensuite au diocèse de Rouen. Il y en avait douze pour la théologie et douze pour les arts. Les pre- mières étaient de trois sous parisis par semaine pendant qua- rante-cinc( semaines d'études. Les secondes comprenaient un total indivis de vingt livres tournois par année. Le choix des boursiers appartenait aux archidiacres du grand et du petit Gaux. Le plus ancien des théologiens remplissait des fonctions qu'on peut assimiler à celles postérieurement remplies par les préfets des études et de discipline. Après six années de théologie, la place devait être cédée à d'autres, à moins que l'étudiant ne fût en état de faire quelques cours publics (3).

(i) « ... ad opus autera praedictoram thfiologorum, disait-i.', do, dona- « tione inter vivos, domum quam erai Parisius a Guillelmo dicto Fructua- « rio juxta Harpam in parochia S. Severini. » {Hist. de la vil. de Paris, tom. III, p. -286).

(a) «... volens de bonis mihi a Deo collatis et acquisitis aliqua uni- « versalis usibys Ecclesia? etcommoditatibus pauperum applicare, maxime « in his quae videntur respicere commodum animarum... » (Ibid)., p. 285).

Jean de Rouen, proviseur dudit collège, devait, plus tard, composer, en l'honneur de Guillaume, les vers suivants :

Guillelmus Sana, Mariani pervigil .Argus

Thesauri, in templo principe Rothomagi. Sexaginta noveni ante annos et raille ducentos

Collegium hoc proprio condidit a^re suum : Quod ge.rit, hau J gentis Sanje, qua? clara Caleto est, Sed thesaurari nomen ab officio. (Dubreul, Le Théâtre des antiquité:, de Paris, Paris, i6ôt), in-4'', p.477'-

(5' Hist. de la vil. de Paris, tom. I, p. 419, avec renvoi aux Preiiv.. et pire, justifient. , tom. JII, pp. aSf) et suiv., c-t reproduite la charte de fondation. Ainsi, p. 287, nous hsons : « Volumus et ordinamus quod) « antiquior bursarius semel in hebdomada die dominica vel alio die- « solemni videat alios... et, omnibus coram se con<=titutis, videat et « audiat qualiter prolecerint, et corrigat si quem excessum invenerit ; « et, si aliquis eorum expelli deceat, fiât communicato consilio aliorura^ « et, si aliquem invenerit rebellem vel non proficientem severe expel- « lant... » Et à la page :>.S(î : Volo et ordino quod si praîdicti theologi « vel aliqui per sex annos theologiam audierint vel beneficium aiiquod « sufficiens fuernit assecuii, quod ex tune alii idonei et sufficientes eli- « gautur. . ., nisi aliquis eorum in tauta prœrogativa scientiae pervenerit « quod posset in scholis ahcujus magistri theologi publicas lectiones le- « gère. . . »

18 DÉVELOPPEMENTS

Dans des statuts postérieurs, on parle d'un proviseur dont on aura sans doute reconnu la nécessité (1).

Guillaume de Saanne avait prévu le cas de dispersion de l'Université. Dans l'acte même de fondation, il assignait aux revenus, jusqu'à la fin du malheur, d'autres destinations en faveur de la ville de Rouen. La distribution devait en être ainsi faite : vingt sous par semaine aux malades de la Made- leine et autant aux lépreux du Mont-aux-Malades ; le surplus partagé également entre les Frères-Prêcheurs, les Frères- Mineurs et les pauvres de l'hôpital que le même Guillaume avait fondé sur la paroisse de Saint-Ouen (2).

COLLÈGE d'HARGOURT (i28o-i3ii)

La prospérité de l'œuvre de Robert de Sorbon inspira à un chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris une fondation sem- blable.

Raoul ou Rodolphe d'Harcourt ainsi s'appelait ce cha- noine — appartenait à la famille du même nom, une des plus anciennes de la Normandie. Il était frère du célèbre Jean d'Harcourt, maréchal et amiral de France. Il devait être nommé conseiller de Philippe-le-Bel. Il avait été dignitaire de quatre églises cathédrales de cette province : archidiacre de Coutances, chancelier de Bayeux, chantre d'Evreux et grand-archidiacre de Rouen. C'était surtout en faveur de ces quatre diocèses qu'il se proposa de fonder un collège à la fois littéraire et théologique. A cette fin, il acheta plusieurs mai- sons situées sur la rue de la Harpe. Sa mort, en 1307, ne lui permit pas de voir la fin de la noble entreprise, bien qu'il y eût consacré vingt-sept années. Cette joie fut réservée à son frère Robert d'Harcourt.

Elu évêque de Coutances en 1291, ce dernier avait pris part

(i) « Primo obedire provisori hujus domus in licitis et honestis. >- {Ibid., p. 287).

(o) « Si autem contïQgat (quod Deus avertat !) quod studium Parisiense « vel allud solemne ex toto cesset vel penitus dissipetur, volo et ordino « quod pi-gedicta oraiiia remaneaiit domui Magdalenae et leprosis de « monte juxta Rothomagum in pauperura nécessitâtes expendenda et « convertenda, quousque studium générale alicubi reforraari contin- « gat. . . «

I

DE LA FACULTÉ 19

au conseil du roi en 1290 et 1298, ainsi qu'au Concile de Rouen en 1299, et fait partie de la légation envoyée, en 1302, vers le pape Bonifaco VIII. Il fut chargé par Raoul d'Har- court de le remplacer à la tête de l'œuvre glorieusement inaugurée et déjà prospère. Il se montra fidèle exécuteur des volontés du défunt. D'autres maisons furent acquises, ainsi que l'hôtel d'Avranches qu'il fallut remettre à neuf. Deux cent-cinquante livres tournois de rente furent assurées au collège. Les quatre diocèses devaient être d'abord, et en nombre égal, gratifiés de seize bourses pour l'étude des arts et de huit pour celles de la théologie. Quant aux bourses de surplus, douze pour les arts et quatre pour la théologie, for- mées sans doute en partie par de nouvelles générosités, elles pouvaient être accordées aux étudiants de toute province.

Commencé en J280, ce collège, un des plus fameux de l'Université, reçut son couronnement, en 1311, par l'imposi- tion de statuts précis et détaillés qui, dans leur dernière forme, furent l'œuvre du second fondateur, mais dont, sans aucun doute, les principaux articles avaient déjà régi avec succès l'établissement (1).

Bien que fondé, comme les autres collèges séculiers, en fa- veur des écoliers pauvres, le collège d'Harcourt admettait des écoliers payants. La rétribution de ceux-ci se calculait sur le prix de la bourse des autres et la quote-part des frais communs. On ne pouvait être boursier pour les études des arts, quand on possédait douze livres de rente ; trente livres ne permettaient pas de l'être pour les études en théologie, à moins qu'on ne lût les sentences; et, dans ce dernier cas, soixante livres étaient un motif d'exclusion.

(i) Sources générales pour cette i'"^ partie :

Hist. Univers. Paris., tom. lU, p. 45o, tom. IV, p. i52-i6ii; Félibien et Lobineau, Hist. de la vil. de Paris, tom. I, p. 446-449, avec renvoi aux Preuv. et pièc. justificat., tom. III, p. 296-296; du Breul, Le Théâtre des antiquUez de Paris, Paris, 1659, in-4°, pp. 477 et suiv. ; Gai. christ., tom. XI. col. 8S2-884.

Voir aussi, pour la partie qui nous occupe, l'Ancien Collège d'Har- court et le Lycée Saint-Louis, par M. labbé Bouquet, Paris, iSqe pp. 45 et suiv. '

Robert d'Harcourt assista au Concile de Vienne, mourut à Paris " nonis martii i5i4 », et y fut enterré « in majori ecclesia prope maius altare » {Gai., ihid., p. S84).

30 DÉVELOPPEMENTS

Etaient assignés par semaine trois sous parisis aux artiens et cinq aux théologiens.

Ces deux classes d étudiants n'avaient de commun que la chapelle. Pour le reste, ils étaient complètement séparés.

L'administration du collège ou plutôt des deux collèges comprenait un proviseur ou maître, un prieur, quatre procu- reurs et un principal. Leurs offices étaient parfaitement dé- finis.

La charge de proviseur était à vie. Quinze jours au plus tard après la mort connue du proviseur en exercice, à moins qu'on ne fiit en vacances, car alors l'élection était différée jusqu'après la Saint-Denis, les huit théologiens des quatre diocèses de Normandie nommaient à la pluralité des voix le successeur qui devait être de cette province (1).

Le chancelier de Notre-Dame, le plus ancien docteur-régent parmi les sécuhersde la nation normande ou, à son défaut, parmi les séculiers de n'importe quelle nation (2), et le recteur de l'Université étaient appelés à confirmer l'élection. En l'ab- sence de l'un d'eux et dans le cas de désaccord, c'était l'évèque de Paris qui avait voix décisive. Les voix des électeurs se ré- partissaient-elles également sur deux sujets? Il appartenait aux approbateurs de déterminer le choix. Les premiers dif- féraient-ils l'élection ? Los approbateurs nommaient. Ces der- niers se trouvaient encore investis du droit de congédier le proviseur, quand le bien de l'établissement le demandait. Si l'un des électeurs était absent, on le remplaçait par un autre théologien ou le plus ancien des artiens du môme diocèse. L'ofiice de proviseur ne consistait pas seulement dans la haute administration du collège : la réception des boursiers lui incombait spécialement, et il partageait avec le prieur l'application des lois disciplinaires. La résidence était telle- ment obligatoire que six mois passés hors Paris le consti- tuaient de droit démissionnaire.

La charge de prieur était annuelle. L'élection se faisait à

(i) «. . . virum idoneum, di^^cretum et venerabilem, dunt;ixat de Nor- « mania oriundum eligant in magistrum. . . » (art. lxix}. H n'est pas dit que ce devait être un théologien.

('ï; « ... antiquiori magi-^tro sa^culari in theologia regeiiti de natione « iNormannorum, si quis est, alioquin alli antiquiori nia^istro sseculari ia « theologia regeuti, cujuscumque uationis fuerit. . . » (art. lxix).

DE LA FACULTÉ 21

la Saint-Luc par les théolo.e-ions et était ratifiée par le provi- seur. Le dignitaire ne pouvait être pris que parmi les théolo- giens. A lui de régler ce qui concernait les messes, les prédi- cations, les jeûnes, les disputes, les leçons, les conférences, les [("^tes et les services religieux. Il lui était enjoint de visiter chaque semaine les maisons des artiens et d'assister à une de leurs disputes. Boursier d'une part, il se voyait, comme prieur, gratifié de 20 deniers par semaine.

Le nouveau prieur élu, on procédait et c'étaient toujours les théologiens qui avaient le droit de vote à l'élection de deux grands procureurs dont l'un pour la maison théologique et l'autre pour la maison littéraire. Naturellement le premier appartenait à la théologie, le second aux arts. Le lecteur l'a compris, ces offices étaient également annuels. Les grands procureurs s'engageaient par serment, en présence du provi- seur, du prieur, à se conduire avec fidélité dans la gestion du temporel. Deux fois dans Tannée, en avril et en octobre, ils faisaient connaître la situation financière, le procureur de la maison théologique en présence du proviseur, du prieur et des théologiens, celui de la maison littéraire en présence de ces deux dignitaires et des six plus aficiens étudiants en arts. Ils prenaient chaque semaine un tiers de bourse en plus. Deux aut^res procureurs étaient désignés pour faire, dans chacune des deux maisons, vers le mois d'août, les achats de bois, et ceux de vin h l'époque des vendanges.

Au collège des artiens, le proviseur et le prieur constituaient annuellement un premier dignitaire avec le titre de principal et une autorité à eux subordonnée (1). Le principal avait droil à la même rémunération que les grands procureurs.

En entrant à Harcourt, on jurait obéissance au proviseur et au prieur.

Dans chaque collège, il devait y avoir au moins deux dis- putes par semaine ; et, deux fois par an, les deux hauts di- gnitaires faisaient subir un examen : l'absence de progrès dans les étudiants leur attirait un renvoi immédiat.

Les études philosophiques comprenaient trois années. En théologie, si après sept ans l'on ne devenait pas apte à la pré- dication et après dix à la lecture des premiers cours, l'on' se

(i) «... praecipimus quod principalis domus artistarum a provisore et priore. . , detur annuatim » (art. lxxx).

22 DÉVELOPPEMENTS

voyait administrer un ordre de sortie. La préparation à la licence ne pouvait dépasser cinq ans, et, pour s'y présenter, il fallait l'autorisation du proviseur. (1)

Les peines étaient deux fois plus sévères pour les théolo- giens : la raison se comprend de soi.

Les fêtes solennelles, il y avait à la chapelle, outre les of- fices ordinaires, chant des Matines (2). Dans le même lieu, une conférence était donnée après les premières vêpres des autres principales fêtes et des samedis de l'Avent.

Il était ordonné de lire les statuts à la Toussaint et à la fête de la Chaire de Saint-Pierre.

Ces statuts, comprenant quatre-vingt-six articles, avaient été soumis à l'approbation de l'ordinaire. Comme dans l'acte épiscopal il n'y avait pas de clause particulière relativement aux offices religieux, le proviseur. Marin de Marigny, pour parer sans doute aux éventualités de l'avenir, s'adressa à Clément V qui, en vertu de son autorité apostolique, autorisa la célébration de tous les offices, même les plus solennels (3).

COLLÈGE DES CHOLETS (1295)

Ce collège tire son nom de Jean Cholet (4), originaire de Nointel en Beauvaisis, professeur distingué en droit civil et en droit canonique, élevé à la dignité cardinalice, en 1281, avec le titre de Sainte-Cécile, et chargé, en 1283 et années sui- vantes, d'une difficile légation dans le royaume très chrétien.

(i) Nous pensons qu'il faut entendre les deux licences, la licence ès-arts et la licence en théologie : « Item quod quilibet studeat quod (c ij^tra quinquennium a priore theologorum et principali artistarum <t dignus licentia judicetur » (art. lxiii).

(2) « ... solemne... servitium videlicet Vesperarum, Matutinarum et Missarum » (art. xiv).

(3) Hist. Univers. Pans., tom, IV, p. i53-i62, on lit les 86 art. des statuts; Félibien et Lobineau, Hist. de la ville de Pans, tom. III, p. 296, se voit l'acte approbateur de l'évêque de Paris, et, p. 296, est re- produite la bulle de Clément V.

Nous trouvons aux Archives nationales, S. 6445, des lettres-patentes (orig.) de Henri, « roy de France et d'.\ngleterre », confirmant les droits, rentes et possessions du collège d'Harcourt en Normandie.

(4) On dit aussi, mais assez rarement : Jean Coleti, Cioleti, Collet, Car- let. On l'appelle également cardinal de Noiotel.

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DE LA FACULTÉ 23

Il arriva, en effet, dit Fleury, avec a un ample pouvoir de a traiter avec le roi Philippe et lui donner pour un de ses fils « le royaume d'Arag-on et le comté de Barcelone, dont le « pape prétendoit avoir la pleine disposition, après en avoir « privé le roi Pierre. » Pliilippc-lc-Hardi finit par accepter ses propositions. Mais c'étaient des Etats à conquérir. Le lé- gat prêcha la croisade contre le monarque dépossédé. Le roi de France se croisa, leva une armée ; et il marchait sur l'Ara- gon, quand la mort le frappa à Perpignan. Le cardinal-légat l'accompagnait, après avoir vu sa légation s'étendre, par l'autorité pontificale, jusqu'aux royaumes de Navarre et d'A- ragon. Il décida Pnilippe-le-Bel à continuer la croisade. Enfin' il fut assez heureux pour arriver à la conclusion d'un traité entre le roi de France et le roi de Castille (1289), lequel traité avait embrassé la cause de l'Aragon. Sa mission terminée» Jean Cholet retourna à Rome (1).

M. Félix Lajard le qualifie, à la fois, de maître en théologie, en invoquant le martyrologe de la cathédrale de Beauvais et une des deux épitaphes qui se lisaient sur le tombeau ou près du tombeau de l'éminent personnage dans l'abbaye de Saint- Lucien, sous les murs de la capitale du Beauvaisis 2). Or, nous ne voyons pas que le martyrologe dise rien de cela (3) ; et ces expressions de l'épitaphe .• « canonis et legum prof essor erat generalis » , n'autorisent certainement pas semblable interprétation (4).

(i) Fleury, Hist. ecclésiast., liv. LXXXVIf, ch. lui, liv. LXXXVIIf, ch. m, IV, .XIX ; Hist. littér. de la fraiic, tom. XX, pp. ii5etsuiv.; Dubois, Hist. Ecoles. Pans., tom. II, p. 496.

' (2) Hist. littér. de Li Franc, tom. XX, p. ii4.

(5) Nous lisons dans VHist. de tous les cardinaux franc., de François du Chesne, tom. Il, p. 224 :

i< Extrait du martyrologe de l'église cathédrale de Beauvais :

« Die tertia augusti, obiit Johannes bonse memoriae, titulo S. Caeciliae « cardinalis presbyter, dictus Cholet, quondam B. Pétri canonlcus, qui « dédit centum solidos inter alia his qui interfuerunt ad cantandum Te « Deum quando sanabantur infirmi S. Geremari. »

Du Boulay écrit seulement: « ... in Academia Parisiensi olim juris doctor et professor. . . »

{Hist. Univers. Paris., tom. III, p. 696.)

(4) Voici quelques vers de l'épitaphe visée :

Ista legens, siste, pensa quantus fuit iste.

Ecce sub hoc tumulo venerabilis ossa Joannis,

24 DÉVELOPPEMENTS

La mort de ce cardinal, dans la capitale du monde chré- tien, date du mois d'août 1292. C'est, du moins, ce que nous estimons la vérité, d'après l'épitaphe et le martyrologe pré- cités (1).

Caeciliae titulo decorati pluribus annis.

Vir magni cordis, cujus mens nescia sordis, Gloria Francorum, decus orbis formaque morum, Fautor justorum, coastans ultor vitiorum Canonis et legum professor crat generalis.

(F. du Chesne, Op. cit., p. 225; Hisl Univers. Pa/-t5.,tom.III,p. 696, la- quelle contient, en plus, l'avant-dernier des vers cités.)

Nous ne nous arrêtons pas à cette assertion de du Breul : « Jean Cho- let, du diocèse de Beauvais, et depuis évesqiie d'iceluy. . . » {Le Théâtre des antiquités de Paris, Paris, 1659, p. 484)- Ce siège a été occupé, de 1267 à i5oo, par Réginald de Nanteuil et Theobald de Nanteuil, et, de 1249 à 1267, par Guillaume des Grez {Gai. christ., tom. IX, col. 745 et suiv.).

(i) Telle est la date donnée par l'épitaphe que nous transcrivions à^ l'instant :

.•\nnos depromas octo de mille trecentis, Augusti nonas quarto lux est morientis.

Celle du martyrologe de B^^auvais marque le 5 août, comme nous venons de le voir.

« Obiit an. 1292, porte VHist. Univers. Paris., iom.ïll, p. 696, etsepultus « est in abbatia S. Luciani apud Bellov^icos. »

Ainsi pensent et écrivent la plup^irt des historiens et, entre autres, F. du Chesne, Op. cit., tom. I, p. 5oo.

C'est laisser entendre qu'il y en a qui assignent d'autres années, par exemple 1291, 1295, 1294, 1295 {Hist. liltér. de la Franc ., tom . XX, p. 121-122).

Mais, nous le répétons, il y a lieu de s'en tenir h 129?.

Voici une autre épitaphe consacrée au même cardinal, laquelle se voyait dans nn petit livre du collège des Cholets :

Belgarum me primus ager nutrivit, honorât

Roma; seni magnae faedera pacis erant. Relligio, pietas, studiorum insignia crescunt, Me duce. Quis fuerim comprobat ista domus.

{Hist. de tous les card. franc., vol. cil., p. 22(1. 1

VHist. littér. de la Franc, vol. cit.. p. 122, reproduit l'épitaphe en rem- plaçant magnx par cxirse du 2* vers. VHist. Univers. Paris. ^ tom. III, p. 5o8, ne fait lire ni l'un ni l'autre. C'est évidemment une faute.

L'on cite parmi les ouvrages perdus du cardinal Cholet une Summa de casibus.

Les seuls écrits imprimés sont, avec le testament dont il va être ques- tion, un rapport à Martin IV sur des missions au prélat confiées, une lettre dispensant le diocèse de Beauvais du paiement de certames dîmes, et une autre durant la guerre contre Pierre d'Aragon. Rainaldi a donné, sous l'année 1284, Annal, eccles., cap. vu, viii et ix, le rapport avec l'approbation pontificale de la conduite du légat. La première lettre « pro exemptione solutionis decimarum » se lit dans le travail cité de

DE LA FACULTÉ 25

Par son tesUimenl, qui remontait à 1289, de nombreux legs ■étaient faits. 600 livres étaient destinées à la croisade contre les roisdWragon, pour le cas la guerre continuerait. Dans l'hypothèse de la cessation des hostilités^ le legs devait profi- ter à des pauvres originaires du diocèse de Beauvais (1) . L'hypothèse devint un fait. Deux chanoines de Beauvais, Evrard de Nointel et Gérard de Saint-Juste, étaient les exé- cuteurs testamentaires. Ils crurent entrer dans la pensée du défunt en décidant l'établissement d'un nouveau centre d'ins- truction théologique à Paris. L'Hôtel de Senlis près Saint- Etienne des Grez fut acheté. Grâce à la libéralité testamen- taire de Jean de Bulles, archidiacre du grand Caux, dernier propriétaire de l'hôtel, l'on n'eût à en payer qu'une partie (2).

L'établissement était en faveur des diocèses de Beauvais et

<l'Amiens. Nos renseignements ne nous permetlent pas de

.<iire pourquoi le diocèse d'Amiens fut ajouté au diocèse de

Beauvais.

Il est rapporté que le défunt cardinal avait déjà établi la

F. du Chesne, tom. II, p. 222, et ello. est datée « apud S. Germanum -de Pratis juxta Parisius, decimo tertio cal. martii pontificat. D. Martini ^nno quarto. » La deuxième lettre a pris place dans VHist. général, ^de Languedoc, tom. IV, Preuves, col. 79-80; elle est adressée « episcopo Majoricensi » et donnée « in castris juxta Gerundam (Girone) VI id. .augusti, pontificat. D. Honorii papse IV an. I ». , ^, , .

Du Boulay parle d'une lettre d'Honorius IV au cardinal Cholet « pro « finienda lite qufe inter Universitatem et cancellanum Panensem inter- « cedebat ». Dans cette lettre, Honorius marquait qu'autrefois il avait ■étudié à Paris {Hiat. Univers. Paris., tom. III, p. 689).

Voir Potthast, R'^g. pontif. Roman., Berlin, 1875, p. 1914, pour quel- ques indications.

(t) « ... si Garolus rex profisciscatur cum digno exercitu in dictum « regnum, sex millia librarum Turonensium ; quod si forsitan pax facta « fuerit vel idem Garolus rex Francias negotium duniserit imperfectum, « dicta sex millia librarum pauperibus oriundis de Bellovacensi diœcesi distribui volumus per executores nostros. » Le testament est imprime dans ÏHist. de tous les card. franc, vol. cit., pp. 22^4 et suiv. LHist. liUér. de la Franc, vol. cit., p. 788-789, signale, à la Biblioth. nat., ms 20a du Fonds N.-D., aujourd'hui ms. laL. 17179, une copie plus complète que ■aeWe dont s'est servi François du Chesne. Il y en a une aussi, et très an- cienne, à signaler aux .\rch. nat. dans le carton M. 1 1 1, 4-

(•>) Bulle de Boniface VIII relativement à la fondation du collège : « . . ad hoc partiin a nobis empta (domus), et partim ab eodem archi- ve diacono in suo testamento legata et deputata... » (Dans Felibien et Lobineau, Hist. de la vil. de Paris, tom. III, p. 3o2.)

26 DÉVELOPPEMENTS

maison dite des pauvres écoliers ou des Picards. Mais, selon la juste réflexion de M. P. Lajard, « si cette maison avait « été fondée par Jean Cholet lui-même en 1283, comme le « prétendent Gorrozet et Belleforest, ou en 1290, comme l'af- « firme du Boulay (1), on aurait peine à s'expliquer que le « cardinal-légat Teût entièrement passée sous silence dans et son testament, lorsqu'il assignait des legs à tant d'établisse- u ments et notamment aux écoliers de Sorbonne et à ceux « du collège des Bons-Enfants (2). » Ce qui paraît certain, c'est que ladite maison fut réunie au collège naissant (3).

Chacun des deux diocèses devait jouir de huit bourses pour des étudiants en science sacrée. On ne devrait admettre dans le collège que des maîtres ès-arts (4). La possession d'un revenu de 20 livres tournois faisait perdre la bourse. La collation des bourses était réservée aux exécuteurs testamen- taires. Elle passait au survivant de l'un d'eux et, après la mort de ce dernier, aux chapitres des diocèses nommés, lesquels confiaient cette charge à deux chanoines capables pris dans leur sein et originaires des villes de Beauvais et d'Amiens |5). A défaut de ces deux chanoines, orj désignait les doyens des chapitres ou, en cas de vacance du décanat, les archi- diacres des deux cités. Nous devons en dire autant de la haute direction du collège. Sans doute, l'administration appartenait ici, comme dans les dutres établissements sirai" laires, à un boursier élu par ses condisciples (primus inter pares). Les directeurs avaient la faculté de désigner une ou plusieurs personnes discrètes pour visiter lama'son deux fois dans l'année (6).

(i) Assez vaguement : « ... circa aanum 1290... « {Hist. Univers. Paris., tom. III, p. GSg).

(9.) Eist. liltér. de la Franc, tom. .XX, p. iri4-

(3) Pourquoi le nom Cholet a-t-il été pluralisé, en sorte qu'on a dit : Collège des Cholets, et non Collège de Cholet, Cholet étant le nom du fon- dateur ? Il ne serait peut-être pas défendu de conjecturer que dautres membres de la famille concoururent à l'établissement du collège et même qu'Evrard de .\ointel, surnom que porte quelquefois le cardinal, était un membre de ladite famille.

(4) Félibien et Lobineau, Hist. de la vil. de Par., tom. III, p. 3o2 : « Item ordinamus et statuimus quod duUus scholaris inibi instituatur, « nisi sit magister in artibus. »

(5) Ibid. : « ... dedictis civitatibus et diœcesibus oriundi. »

(G) Ibid. : « Item retinemus etreservamus nobis plenariam potestatem « ordinandi et deputandi aliquem seu aliquos discrètes Parisius coramo-

DE LA FACULTE

27

Diverses dates ont été assignées à la fondation du col- lège (!)• A nos yeux, la supplique adressée à Rome pour lui demander la consécration de l'œuvre doit être considérée comme Tacte définitif de la fondation. Or, elle est datée du 3 juillet 1295(2). La confirmation apostolique donnée par Boniface VIII est du 26 janvier de Tannée suivante (3).

Les exécuteurs testamentaires avaient parlé d'une augmen- tation de bourses, si les ressources venaient à le permettre (4). La chose ne devait pas tarder à s'accomplir.

Grâce au zèle et, sans doute aussi, à la générosité du cardi- nal Le Moine qui poursuivai t, après leur mort, Tœuvre des exé-

« rantes, qui bis in anno dictam domum et scholares prœdictos visitabunt « et inquirent de victu, scientia etmorlbus eorumdem... » Les autres clauses du règlement se puisent au même endroit. (i) Voir l'art, de VHist. littér. de la France, tom. XX, p. 123-124. (2) « Actum et datum Belvaci in claustro ecclesise Belvacencis, anno « Dom. MCCXCV, indietione VIII, mensejulii, die dominica tertia ejusdera « mensis... »

(5) « Datum Romae apudS. Petrum VII cal. februarii, pontificat, nos- « tri an II. »

On l'a compris, la bulle de Boniface VIII, imprimée par Felibien et Lobineau, Of . et vol. cit., p. 3oi-3o3, renferme le texte même de la sup- plique.

Nous ne savons sur quoi se fonde M. Cocheris iHist. de ia vil. de Pans et de tout le diocès.. tom. II, p. 668) pour écrire que les constructions du collège étaient terminées en 1292. C'est contraire aux termes de la sup- plique au pape, car nous y lisons : « Noverint universi praesentes pariter « et futuri, quod nos in domo quse fuit bonse mémorise domini Gualten « de Chambliaco, Silvanectensis episcopi, etpostmodum domini Joannis « de Bullis, archidiaconi majoris Caleti in ecclesia Rothomagensi, sita Pa- « risiis juxta ecclesiam S.Stephani de Gressibits Parisiensis... ad hoc par- ce tim a nobis empta et partim ab eodem archidiacono legata et deputata, « ordinamus... instituere sexdecim scholares de Belvacensi et Ambia- « nensi...» (Felibien et Lob'meau, Hist.de la vil.de Paris, lom.Ul, p. ôoi). C'est aussi contraire au récit de Du Breul : « ... lesquels (exécuteurs « testamentaires) s'acquittèrent dextreraeut de leurs charges en cob- « vertissant premièrement un laiz de .six mil livres tournois... àlachapt « des maisons qui estoient au lieu ou est de présent le collège des « Cholets. Et la première fut l'hostel de deffunt Gautier de Chambly... « et fut amorty ledit hostel... et approuvé par les rehgieux, abbe et « couvent de Sainte-Geneviefve... cest accord faict en l'an 1295. » [Le Théâtre des antiquitez de Paris, Paris, 1639, m-V, p. 486).

(4^) Hist,de la vil.de Paris, tom. ÏU,p.'5oi^' etplures,si expedire vi-

derimuset nobis de bonis executionis prœdictae suppetant facultates... » En ce qui concerne les bourses, il est dit simplement touchant les boursiers: «... pro quorum sustentatione ac vitae necessanis f^ertos « comparatos de bonis executionis praefati domini cardinahs redditus « duximus assignandos. >♦

38 DÉVELOPPEMENTS

cuteurs testamentaires de Téminent fondateur, le collège des Gholets se voyait accru de quatre bourses pour les théolo- giens; et à ces vingt bourses du collège théologique s'ajou- taient vingt autres bourses pour un collège littéraire qui s'établissait dans une maison contiguë à l'Hôtel de Sentis, c'est-à-dire au premier collège. Les nouvelles bourses étaient, comme les précédentes et par nombre égal, en faveur des diocèses de Beauvais et d'Amiens.

En même temps, le cardinal Le Moine s'occupait de complé- ter et de faire consacrer l'organisation administrative. Ainsi, l'on établissait comme chefs du collège un custode, un prieur, deux procureurs et deux bibliothécaires. La collation des bourses littéraires appartenait au custode et à deux tliéolo- giens de la maison, dont l'un devait être du diocèse de Beauvais, et l'autre du diocèse d'Amiens. La collation des nouvelles bourses théologiques était naturellement dévolue aux coUateurs des anciennes.

Tout cela, l'augmentation des bourses et le complément de l'organisation, fut encore sanctionné par Boniface VIII dans une bulle du 3 mars 1301 (1).

Les messes se disaient et les offices se célébraient dans la chapelle de Saint-Symphorien (2).

(i) Cette bulle est demeurée jusqu'alors inédite. Nous en donnons un extrait dans notre Appendice I.

Du Breul ne connaissait pas cette bulle ou l'avait mal lue, lorsqu'il a écrit ces lignes qui manquent d'exactitude : « Comme le revenu du « collège s'est augmenté par le bon mesuage et nouvelles donations, « aussi le nombre des boursiers est venu jusques à vingt grands théologiens « et seize petits estudiants es arts libéraux, desquels la moitié doivent « estre du diocèse de Beauvais et les autres du diocèse d'Amiens. Il y « a bulle du pape Boniface VIII confirmant ce nombre de boursiers, la « qualité d'iceux, l'office de prieur, les procureurs d'icelle maison et le « custos qui est celuy qui confère de plain dioict les petites bourses « tint d'un diocèse que de l'autre. »

L'Historien précité doit être plus exact quand il nous dit que le car- dinal Le Moine légua au collège des Cholets loo livres tournois, que c'était en reconnaissance, « comme il testifie, des biens qu'il pouvoit avoir receus » du cardinal Cholet. [Le Tkédt. des antiq. de Paris, Paris, i639, p. 487-488).

Du Breul et, ensuite, Félibien et Lobineau qui écrivent, du reste, d'après cet historien, commettent une erreur en supposant que la bulle de Boniface VIII est de l'année i3o5. (Le Théât..., ibid.; Hist. de In vil. de Paris, tom. I, p. 464).

(a) Du Breul, Jbid.

Il paraît bien qu'il y avait aussi, à la fin du xui« siècle, un collège d'Upsal. (Denifle, Chartul. Univers. Paris., tom. i, p. 58i>

DE LA FACULTÉ 29

III

COLLÈGES RÉGULIERS

COLLÈGE DE PRÉMONTRÉ OU DES PRÉMONTRÉS

Ce collège fut aussi l'œuvre d'un enfant de VAhna Mater. Jean de Roquinies, qui aura sa notice, avait conquis le grrade de maître en science sacrée. Ilsuccédaità Conon comme abbé de Prémontré et général de l'Ordre (1347). Mais « remarquant « que l'étude des saintes lettres et de la théologie scolastique « était extrêmement fructueuse, utile et nécessaire surtout à 'c ceux qui se donnent au salut ou au soin des âmes, comme « sont les chanoines de Prémontié, Jean de Roquinies. pour « les porter, les entraîner à une semblable étude, de l'avis « commun des chanoines de l'église de Prémontré et aux frais « de la ct/mmunauté, acquit la maison dite de Pierre Sarra- « sin {Pétri Sarraceni) et neuf autres.,. ; au moyen ae ces « acquisitions, il constitua un prieuré pour servir de collège « au sein de l'Université... » Ainsi s'exprime Le Paige dans su Bibliothèque de l ordre de Pré montré (1).

La maison dite de Pierre Sarrasin, située rue Hautefeuille, appartenait à Gillette de Houzel, veuve de Jean Sarrasin. Di- verses charges pesaient sur cette maison (2). Elle fut cédée à l'ordre pour le prix de 120 livres Parisis. Gillette donnait en garantie aux créanciers sa maison, par elle actuellement ha- bitée, du carrefour de Marché-Palu. Le contrat d'acquisition est de 1252 ;3i.

(ij Biblioth. Pvœmonst..., Pari?, i()55, in-fol., p. 58'.>.

{•i) « ... oneratam in duodecim solidos caprtalis census, centum solides << Parisiense-^ incrementi census et quatuor libras Parisienses annui <( ceusus super tribus partibus prœdicta' domus. »

(5) « Datum anno Domiui millesimo ducentesimo quinquagesimo secundo, tertio die sabbati post Trinitatem. »

Le contrat dans BibUolhPca Pr.vmnnslnisensis ordinis, par Le Paige. Paris, ifjôô, iu-fol., p. .'iSa-'iSô, reproduit par Fèlibien et Lobinpnu, H/.v^ ili: 1(1 vil. de Paris, toni.lll, p. ''08-9.09. II se lit également dans Du Breul, Le Théâtre des anliquilez de Paris, Paris, iGôg, p. 471-472.

30 DÉVELOPPEMENTS

Trois ans plus tard, Guillemette, abbesse de Saint-Antoine des Champs, avec l'assentiment de sa communauté et la per- mission de l'abbé de Citeaux, supérieur de l'abbaye [de licen- tia domini abbatis cisterciensis, patris nostri), transférait la propriété et la censive de neuf maisons s'élevant rue des Etu- ves et près de celle nouvellement achetée (1).

Un bourgeois de Paris, du nom de Jean de Beaumont [de Bello-Monte),se dessaisit, l'année suivante, toujours en faveur du nouveau prieuré ou collège, d'une maison également voi- sine et de 4 livres Parisis de cens annuel. Le tout fut payé 250 livres Parisis (2).

Sur la demande des religieux, Urbain IV manda, en 1263, à révêque de Paris de vouloir bien accorder, au nom du Sainl- Siège, la permission de célébrer, dans le prieuré ou collège, la messe sur un autel portatif (3).

Le collège s'agrandit encore, en 1286, par lacquisition d'une grange et d'un jardin contigus à l'établissement et vendus par Gillette du Cellier, veuve de Guillaume le Hon- gre (4).

«Voilà, dit du Breul, toute l'estendue du collège de Pré- « monstre; lequel anciennement estoit environné de quatre « rues... J'ay leu quelque tiltre le collège de Prémonstré « est appelé Insula, Isle, non pour estre environné d'eaux, « mais de quatre rues (5) ».

(i) « Datum Parisius anno Domini millesimo ducentesimo quinquage- simo quinto niense juuio. »

Le contrat dans Biblioth. Prœmonst. OrcL, p. 585-584, reproduit par Félibien et Lobineau, Op. et vol. cit., p. 209-210.

(2) « Datum anno Domini millesimo ducentesimo quinquagesimo sexto, mènse octobri, die luna? ante festum omnium sanctorum. »

Le contrat dans Biblioth. Pncmonst. orcL, p. 384, reproduit par Félibien et Lobineau, Op. et vol. cit., p. 210.

(3) La bulle ajoutait :«.. . si expedire videris, sine juris prsejudicio « alieni. Datum apudUrbem veterem secundo kalendas februarii, ponti- « ficatusnostri anno secundo. » (Dans jBi6Zio(/i. Vrxmonst.ord., p. 585, reproduite par Félibien et Lobineau. Op. et vol. cit., p. 210).

(4) Du Breul, Le Théâtre des atitiquitez de Paris, Paris, i65ç,, p. 472.

(5) Ibid.

L'historien a écrit ces paroles à la suite : « Et en ceste signification, « Spartianus escrit trois cens trente cinq isles avoir esté bruslées à « Rome, c'est-à-dire trois cents trente cinq maisons distinctes des « autres. »

DE LA FACULTÉ ^*

Nous n avons pu découvrir l'ancien règlement de la mai- son. Mais il est permis de conjecturer que les statuts donnés en 1618 renfermaient, complétaient les anciens (1). C'est tout ce que nous pouvons dire.

COLLÈGE DES AUGUSTINS (Avant 1260)

L'origine de ces religieux est fort obscure. Ils aimaient a se faire gloire de compter saint Augustin pour fondateur. Malheureusement on ne trouve pas trace de leur existence depuis ce saint docteur jusque vers la fm du xir siècle. A cette dernière époque, l'on rencontre en Italie diverses congréga- tions, costumées les unes de noir, les autres de blanc, et se donnant pour père, celles-ci saint Benoît, celles-là sain Au-ustin Réunir ces diverses congrégations en un seul corps fut tenté par Innocent IV ; mais la chose ne s'accom- plit que, en 1256, sous Alexandre IV qui prescrivit l'habil- lement noir (2). ^ . . a +-^ ^

Le premier établissement des Ermites de Samt-Augustin a Paris est antérieur à l'année 1260, et se fit en dehors des murs de la cité dans un lieu traversé depuis par la rue qui pritdela le nom de Vieux- Augustins (3) . Alexandre IV permettait, alors, à l'ordre « de recevoir et retenir possession, biens meubles « et immeubles, excepté seigneurie et lieux féaux, de ceux « qui prendront l'habit et feront profession (4). »

Mais bientôt les religieux se rapprochèrent du centre uni- versitaire : ils se fixèrent près la porte Saint-Victor « en un lieu

(i) Voir ces statuts dans Félibien et Loblneau, Op. et vol. cit., pp. 211 et sulv. ,

(o) Félibien et Loblneau, Hist. de la vil. de Paris, tom. I, p. 33o ; du Bre"ul Le Thmt. desantiquit. de Paris, Pans, 1612, p. 5oo.

m Du Breul Ibid. : « Affirmo quod prior fratrum Eremitarum S. Au- « lustini et e us coaventus Parisiensis tenebant et poss.debant quam-

SXm'im'. . sitam Parisius extra muros, ultra portam S ^Eusta^ ., in vif-n oer Quem itur ad Montera Martyrum... {\ idimus ae i^goj.

Vo r dans P DSilfle la cession par la darae Theophama d'une maison PtZniS' hors la porte de S. Eustache, u quo itur ad Montera Martyrur«!%èce^atée de décerabre ^2^^ {Ckartul. Imvers..., tora. I, p. 4o3-4o6).

(4) Du Breul, Op. cit., p. 554 : « Enl'ao 6 de aon pontificat... »

32 DÉVELOPPEMENTS

« vague, inculte et rempli de chardons qui pour cela s appe- « lait cardinetum a cardias. » En 1285, le prieur-g-énéral acheta du chapitre Notre-Dame « une pièce *de terre size « audict Ghardonnet, contenant quatre arpens, continue à la « maison des Bcrnardius et tenant d'autre part ad alveuin « Beverh qui est la petite rivière de Bièvre. »

Il se rendait, en même temps, acquéreur d'une « autre pièce de terre de l'abbé et couvent de Saint-Victor » dans le même endroit et aussi de « plusieurs maisons » près des Bons-Enfants. Ces acquisitions furent confirmées par Hono- rius IV. Philippe-le-Bel, de son côté, leur concédait « l'usage « des murailles et tournelles de la ville, défendant à toutes « personnes d'y passer ny demeurer sans leur congé (1) ».

Cette installation ne dura que huit années, parce qu'éloi gnée du centre de la cité, elle n'était pas lavorable à des religieux mendiants qui devaient recevoir d'abondantes aumônes.

Il y avait sur la rive gauche de la Seine, presqu'en face du palais du roi, dans une maison à eux cédée à perpétuité, au moins quant à la jouissance, par Louis IX, des religieux qui se donnaient le nom de Frères de la pénitence de Jésus- Christ. On les appelait vulgairementles Sachetsou frères des- sacs (en latin Saccarii), parce que tel était leur vêtement (2).

(i) Du Breul, Ilid., p. 55i.

(7.) Du Breul, Ibid., p. 55'.>, est reproduite une lettre de saint Louisà ce sujet, datée « Parisiusanno Donilui l'.'Ju, mense novembri. » Dans cette lettre, il est dit : «... in perpetuum conces-:iinus fratribus de ordine « pœnitentiiE J.-C. donium quamdam ad habitandum sitam Farisius « in parrochia S. .\ndrea^ de Arsiciis cum ejus pertinentiis... »

Il y avait aussi des Sacliettes.

.Mathieu Paris dit des Sachets sous l'année n'-Sy, eirca mcdiwn : « Eodem « tempore, novus ordo apparuit Londini de quibusdam fratribus iguotis « et non prrevisis, qui, quia saccis incedebant induti, fratres Saccati « vocabantur. »

Ils sont portés pour 6o livres dans le testament de saint Louis : « Fra- tribus de Saccis Paris. LX Hbras » (du Chesne, Hisl. Franc. scri[)t., tom. V, p. 4-'^9)-

Du Breul s'exprime en ces termes sur les Sachettes et leur demeure derrière la rue Saint-.André : « Il y avoit un couvent de pauvres femmes « religieuses, dénommées Sachettes, à cause des sacs, desquelles elles « estoient vestues; et se tenoientaux deux grandes maisons qui estoient « en l'an i.t25 et ont esté encor depuis à maistre Jean Gallappe, advo- « cat au parlement. . . Icelles religieuses ont esté expulsées du temps « du roy saint Louys, et ont seulement laissé à la rue le nom de Sa- « chettes ». (Op. cit., p. 34^-346).

DE LA KAGULTK 38

A cctto maison ils avaient joint, on les achetant à l'abbaye de Saint-Germain-(ics-Pn''S, une place vague et une tuilerie (Ij. Ils ne restèrent (lu'unc trentaine d'années, de 1261. nous les trouvons installés, à 12915, époque de la cession de leur domaine aux Ermites de Saint-Augustin ,2).

Voilà comment ces derniers religieux s'établirent dans ce quartier ils sont restés depuis et qui devait emprunter leur nom.

Le roi saint I^ouis jtensa à eux, lorsqu'ils étaient encore près la Montagne des MaiMyrs.car il les porta dans son testa- ment pour un legs de quinze livres (3).

Nous ne saurions indiquer la date précise de leur admis- sion dans l'Université. Mais les Ermites de Saint-Augustin, comme les Carmes dont l'article va suivre, y avaient rang en 1260, ainsi qu'il conste par l'acte universitaire statuant que, dans les réunions académiques et autres la Faculté serait en corps, les religieux gradués de ces deux ordres, ainsi que ceux des Mineurs et Cisterciens, passeraient avant ceux de l'ordre de Saint-Dominique (4). *

COLLÈGE DES CARMES (Avant t26o)

Introduit en Europe dans la première moitié du xiii" siècle, l'ordre du Carmel ne tarda pas à avoir sa maison à Paris et, par cette maison, sa place dans l'Université.

Assez modeste fut le premier établissement des Carmes sur la paroisse de Saint-Paul dans lacensive du prieuré de Saint- Eloi, lequel relevait de l'abbaye de Saint-Maur-les-Fossés. Aussi un acte de l'abbé de ce dernier monastère, en date de 1280, approuva-t-ll cet établissement 5 . En 1270, il leur fut

(i) Du Breul, Op. cit., p. 355, ou est reproduite une quittance, datée « anno Domini i265, die luna post Pentecostem. »

(•i) Ibid.

(ô) Du Chesne, Hist. Franc, script., tom. V, p. 459 : << Fratribus here- mitisde ordine S. Augustini Paris. XV libras. »

(4) Hist. L'nicers. Paris., tom. III, p. ôôG : «... et quod bachalarii « prœsentati praedicti ordinis post prœsentatos aliorum ordinum, vide- « licet Minorum, Carmelitarum et Augustinensium, Cisterciensium et " aliorum hujuscumque ordinis extiterint... ultimum locum liabeant... »

d) Félibien et Lobineau. Hist. de la vil. de Paris, tom. III, p. 2i5, est reproduit l'acte « datura anno Domini MCCLL\, mense f«bruario, » ancien style.

{^ (tllIlAIlY o

34 DÉVELOPPEMENTS

légué une pièce de terre sise au lieu nommé la Folie-Morel {FoIiam-MoreJU), à la charge de payer 55 sous parisis de rente (Ij, charge qui, six ans plus tard, devait, par suite d'un autrejlegs, diminuer de 11 sous (2). Ces religieux ne furent pas, non plus, oubliés par saint Louis qui leur légua XX livres (31.

Nous avons marqué l'époque de leur admission dans le corps enseignant de la capitale.

Les inondations, causées par les débordements de la Seine, d'une part, et, de l'autre, Téloignement du quartier universi- taire leur] firent désirer un changement de résidence, vœu qui se réalisa au commencement du siècle suivant.

COLLÈGE DE CLUNY

(Vers 1269)

L'ordre de Gluny ne pouvait rester en dehors du mouve- ment. Il eut également à Paris et près de VAIma Mater, dans le voisinage de la Sorbonne, son collège et sa chaire pour les études théologiques. La création en avait été décidée en 1260(4). Un des abbés, Yves de Vergi, eut la gloire de commencer les constructions, en 1269, et son neveu et successeur, Yves de Chasant, celle de les achever, comme l'attestaient des inscrip- tions qui se lisaient à la porte de la chapelle ouvrant sur le cloître iadjanuam capellœ in claustro) (5).

Yves de Vergi est appelé par Papillon Yves de Poiseu. Poi-

(1) llist. de la vil. de Paria, ibid.,\-). 'mG, reproduit acte ■< datum aiino Domiai MCCLXX, mense mail. »

(2) Ibid., reproduit acte « datum anno Domiai MCCLXXVI, mense mayo. »

(5) Du Chesne, [iist. Franc, script., tom. V, p. /Jôg : « Fratribus de monte Carmeli Paris. XX libras. »

Voir aussi, sur l'établissement de ce collège, du Breul, Le Théâtre des (intiquitez de Paris, Paris, 1659, p. 427-428.

(4) Denifle, Chartul. Univers. Paris., tom. I, p. LU.

(5) Hist. Univers. Paris., tom. III. p. 095, laquelle a imprimé ces inscriptions, après du Breul, Op. cif., Paris, 16.59, p. 47'î- ^'ous les trans- crivons : . . , , o, 1 11 ••

<( Yvo, primus hujus nomuv.s, abbas Cluniacensis ac hujus collegn « fundator, anno Domini ducentesimo sexagesimo nono supra millesi- « mum, plateam émit murosque fecit in circuitu.refectorium, ecclesiam, « dormltorium ac claustri medietatera. /Eternapace fruatur. Amen. »

Yvo secundus, abbas Cluniacensis, primi fundatoris nepos, hanc

« ipdem divae virsini sacram, capitulum et alteram claustri medietatem « fecit cum bibliotheca. .'Eterna pace fruatur. Amen. »

Voir aussi Gai. christ-, tom. IV, col. ii49-

DE LA FACULTÉ 35

seu était un fief qui se trouvait dans «le Val de Vergi», où, pense cet historien, Yves vit le jour. Avant d"(;tre abbé de Cluny (1257), ce dernier avait été prieur de Saint-Marcel-lez- Châlons. On l'a fait monter sur le sièg-e d'Agen. Mais il n"a pas été inscritpar le Gallia christianaoM nombre des évêques de ce diocèse (1). Quoi qu'il en soit, il mourut à Cluny, le 26 août 1275 (2i . Quant à Yves de Ghasant, avant d'otre placé, cette même année, à la tête de l'abbaye de Cluny, il y avait exercé les fonctions de prieur. L'année 1289 marqua la fin de son existence (3).

II en était de ce collège comme de ceux de Prémontré et des Bernardins : il était destiné à Tordre entier. Son ad- mission dans le corps universitaire ne dut pas se faire beau- coup attendre.

Les statuts qui le régissaient ont été approuvés, confirmés par l'abbé Henri V- dont l'élection date de 1308 (4).

Dans ce collège spécialement fondé en vue des études Ihéo- logiques, deux années étaient, d'abord, consacrées à la logi- que et troi? à la philosophie naturelle. Après deux années de leçons sur l'Ecriture-Sainte, les étudiants faisaient des dis- cours et des conférences au public .; ils devaient même prê- cher en langue vulgaire de quinze jours en quinze jours après Pâques.

Il y avait liberté de suivre les cours du dehors ; mais il y avait obligation de se faire parfois auditeur des maîtres de la

(i) Gai..., tom. II, col. 1)19-920.

(2) Papillon, B/6/io//t. des aiUeiirs de Bourgogne, tom. If, Dijon, 17 '12, p. 161.

« Yves de Poiseu, continue Thistorien, a laissé un ouvrage manuscrit « intitulé : Historia figiiraUs... On trouve encore une lettre du même. . . « dans les Preuves de l'Histoire de l'abbaye de Saint-Germain des Prés', <' par le P. Bouillard. »

L'on a sous son nom des Statuta ccqntuli gcneralis Cluniacensls et Statuta in Anglii édita apud Bermondeseyam in capitula provinriali. (Fabricius, Biblioth..., édit. Mansi, art. Ivo Clwnaeensis). Les uns et les autres o..t pris place dans les Miscellanea de Baluze, édit. in-8, tom. VI, pp. 5o2 et suiv., édit. in-foL, tom. II, pp. 244 et suiv.

M. F. Lajard a écrit une courte notice sur Yves de Vergi dans VHist. littér. de la France, tom. XIX, p. f[ù3.

(5) Hist. littér. de la Franc, tom. XXI, p. S22-S2Ô, quelques lignes de M. Victor Le Clerc.

(4"^ Ils sont reproduits par Félibien et Lobineau, Hist. de la vil. de Pans, tom. III, pp. 280 et suiv.

36 DÉVELOPPEMENTS

maison. Ghaquesemaine ou, au moins, tous les quinze jours, on procédait à des disputes sur des questions de logique, de philosophie et de théologie. Chaque soir, à l'heure de la colla- tion, les étudiants étaient interrogés, afin que l'on puisse constater les connaissances acquises dans la journée.

La maison était administrée par un prieur et un sous-prieur. Ceux-ci confiaient le soin des affaires temporelles à des étu- diants qu'ils choisissaient parmi les moins aptes aux études. Un autre étudiant était chargé de la garde et de lu distribu- tion des livres.

Les diverses maisons étaient oblig"ées de payer pension pour les élèves qu'elles plaçaient au collège ; et elles devaient veiller à n'envoyer que des religieux dont l'instruction gram- îuaticale fût suffisante.

Afin de stimuler le zèle pour l'envoi des religieux au collège de Paris, il était décidé que les monastères, en cas de né- glig:ence sous ce rapport, ne seraient pas exempts de payer les sommes fixées pour les pensions.

Il y avait défense de retirer, du collège, sans l'autorisation (le l'abbé, les étudiants après leur quinquen/imm ou les cinq aimées préparatoires au baccalauréat. Mais il y avait faculté (le les renvoyer, alors, quand ils ne montraient pas d'aptitude pour les études théologiques (1).

r.OLLEGK DE SAINT-DENIS (Après 1265)

Une autre abbaye, plus ancienne que l'abbaye de Cluny, célèbre aussi, bien que non chef d'ordre, avait peut-être précédé celle-ci dans cette noble voie de l'établissement d'un centre d'études à Paris.

Suger, durant sa régence du royaume, habitait une maison

(i) On avait pensé aussi à ceux qui étaient trop éloignés pour aller r.fcndre leurs vacances dans leurs maisons respectives. Ces étudiants l»ouvaient rester au collège de Paris: « Verum de longe pensioneshaben- .. tihus, utiTOte de iniperio, de ultra Sagonam, de Pictavia et de Ar- t> verni'a, pio compatientes affectu, concedimus gratiose, quod in casa » uhi non haljerent unde ad loca a quibus pensionarii existunt accédera (' iiossent..., in dicta domo nostra faciant residentiam. » Us n'avaient ;(lor.s, pen(.iant ces vacances, qu'à verser, cliaque semaine ."> sous et G deniers parisis. (Félibien etLobineau, Op. cit., tom. III, p. •i84).

DE LA FACULTÉ 37

près « rArchet do saint Mcrry » (1). Depuis, on no voit pas que les abbés de Saint-Denis aient eu hôtel à Paris. Matthieu de Vendônio, qui gouvernait Tabbaye et était appelé à deve- nir ré.Gont (le France, s'en fit construire un, en 1203, sur le territoire deLaas, dit aussi Lias ou Liaas, derrière le jardin des Sachets. « Cet abbé bastit aussi une chapelle tant pour « son hostel que pour le collège qui y estoit joint. Il en obtint « la permission des religieux de Saint-Germain, à condi- « tion qu'il n'y auroit ni cloche ni cimetière et que cet hostel « ou collège dépendroit pour le spirituel du curé de Saint- * André-des-Arcs et pour le temporel de l'abbaye de Saint- « Germain » (2).

Cet hôtel et ce collège ont lait place depuis aux rues Dau- phine, Christine et d'Anjou.

Si la maison de Saint-Victor ne se trouve pas alors rangée au nombre des collèges universitaires, c'est, croyons-nous, que, s'estimant membre de l'Université, elle avait négligé ou non jugé à propos de solliciter l'admission que nous appelle- rons légale. Nous constatons le même fait relativement à l'ab- baye de Sainte-Geneviève. Mais, pendant que cette dernière restera toujours dans la même situation, Saint-Victor se dé- cidera, au XV' siècle, à se faire reconnaître parle corps en- seignant [S).

(i) Félibien et Lobiueau, Hist. de la vil. de Paris, tom. I, p. 4o6, lesquels historiens se sont exprimés ainsi précédemment, p. i8o : «...une .. maison seule joignoit et l'église Saint-Merry et la porte de Paris men- « tionnée par Suger. On voyoit des vestiges de cette porte du temps de « Charles V, et cela s'appeloit l'Archet de saint Merry. »

(2) Hist. de la vil. de Paris, ibid., p. 40G-407, avec renvois à dom Bouillard ; Sauvai, Z/is<. e< recherch. des antiq.de Paris, Paris, 1724, tom. II, pp. ô:^-, i44, 147 ; Denifle, Chartul. Univers. Paris., tom. I, p. 455. La citation est prise dans Félibien et Lobineau.

Voir la notice écrite sur Matthieu de Vendôme par Daunou dans Hist. nttér. de la Franc., tom. XX, p. i-j». Il ne faut pas confondre ce Matthieu de Vendôme avec un autre Matthieu de Vendôme, d'un siècle antérieur et auteur d'une Historia sacra de Tobia seniore «c junion: en vers élégiaques, ouvrage médiocre et plusieurs fois imprimé. ^M. Brunet, Manuel..., art. Matthœus Vindocinensis).

[ô) Hist. Univers. Paris., tom. V, p. 207-210.

CHAPITRE II

ETUDES, iVlETHODE, GRADES

I

Les études étaient les mêmes que dans la première partie du siècle. Nous avons entendu Innocent IV parler en faveur des études littéraires. Sa parole a échoué devant le goût si pro- noncé pour la scolastique. Aussi le xm*^ siècle, si grand au point de vue théolog-ique, esi demeuré, au point de vue litté- raire, au-dessous du XII^ Les écrivains de ce xin^ siècle, dit très bien Crévier, « ne connoissent aucun des ornemens du « discours, contens d'éviter tout au plus les solécismes. On « ne leur en avoit pas appris davantage dans les écoles, oii « il ne paroit point qu'alors on expliquât Cicéron, Virgile et « les autres bons auteurs de la latinité, comme avoit fait dans « le siècle précédent Bernard de Chartres, imité par un grand « nombre de maîtres habiles. Toutes leurs études des belles « lettres se réduisoient à la grammaire de Priscien, à laquelle « on substitua dans la suite le Doctrinal d'Alexandre de « Villedieu, qui écrivoit vers le milieu du siècle. Pour ce « qui est de la rhétorique, on peut juger par le style des « ouvrages du temps qu'elle étoit traitée dans les écoles avec » la même sécheresse que la grammaire ou dans un plus « mauvais goût » (1).

Voilà brièvement pour les études.

Voici brièvement aussi pour la méthode. Respectée et patronnée par le Docteur angélique et les autres maîtres de Paris, la mystique eut, au xiii' siècle, son

(i) Hist. de l Univers, de Paris, tom. I, p. 307.

40 DKVEL0PPEMKNT8

principal interprète dans le Docteur séraphiquc qui se plaça, à la fois, au premier rang- des esprits aux larges et hautes conceptions. On vit donc se continuer plus eiïicacement que jamais l'accord tenté par les deux plus célèbres écrivains de Saint-Victor et admirablement secondé par le maître le plus classique de l'école de Paris.

Mais ce siècle fut vraiment celui de la scolastique. A quelle époque a-t-on vu des penseurs qui se soient avancés plus loin dans le champ et élevés davantage sur les hauteurs de la théolog-ie spéculative? Il suffît d'évoquer, parmi tant de docteurs illustres, le souvenir d'Albert-le-Grand, de saint Thomas d'Aquin, de saint Bonaventure. A quelle époque surtout a-t-on fait un plus grand usage du style qui a em- prunté à la scolastique son propre nom, nous voulons dire de l'argnuientation syllogistique? A l'exemple d'Alexandre de Halès qui donna à la méthode l'autorité de son nom, on pro- cédait généralement ainsi : la thèse était posée, le pour et le contre, opinions réelles ou supposées, mis en relief, la con- clusion de l'auteur développée et enfin le sentiment contraire réfuté; et le tout revêtait plus ou moins rigoureusement la forme consacrée par YOrfjanoii du Stagirite (1).

C'est délinaiter l'influence de ce dernier. Si en philosophie l'autorité d'Aristote faisait loi, il ne pouvait en être de même dans le domaine théologique : cela se comprend, puisque, loin d'avoir exploré ce domaine, il l'avait à peine entrevu- Son influence ne fut donc que médiocre. Nous devons en dire autant de Platon, bien que certains Pères, le considérant comme un reflet de la révélation primitive, l'aient nommé le Moïse attique.

II

Le statut de Robert de Gourçon (2), confirmé et complété par la bulle de Grégoire IX, laquelle a même été renouvelée par Urbain IV en 1262 (3), continua à être, dans la seconde

(i) Le règne de la scolastique ne se limitait pas au domaine théolo- gique. Il s'établissait ou s'atfei-missait dans les autres familles univer- sitaires. Mais n'oublions pas que la Faculté de f^aris était l'école de thé- ologie par excellence.

(2) Voi-, pour ce statut, notre Introduction, tom . I, pp. vxix et suiv.

(3) Hist. Univers. Paris., tom. III, p. Ô66-.Ï67. Urbain IV, après avoir

DE LA FACULTÉ 41

inoitiô du xiii'' siècle, la loi rondainentale de l'Université el, partant, (le la Faculté do théologie. Des règlements particuliers précédèrent et suivir(Mit, mais p(jur arriver ;'i faire corps avec cette loi fondamentale. L'I.'niversité avait usé et usait en cela du droit inhérent à toute corporation et reconnu, sanctionné dans l'acte même de Grégoire IX. A ce point de vue, nous avons cité le règlement antérieur à celui de Robert de Courçon 1. Nous avons en ce moment à mentionner les Statuta obsorrata ab antiquo tempore in vencrabili FacuUate thpoloqia- (2), et les Statuta tam papaVia qitam alla sacratis- shnsp Facilitât h theologix, reijulantia rnaf/istros, lirentiatos^ barra/arios tam formatos qiiam cursores (3). Nous connais- sons plnsieurs de ces articles-lois par le traité De Conscientia de Robert de Sorbon (4) et par la célèbre bulle : Quasi lifinum (5). De VOpus majus de Roger Bacon jaillissent aussi quelques rayons de lumière sur cette organisation primitive.

Le nombre des années d'études s'est augmenté, les grades académiques se sont multipliés ou subdivisés, les formalités à remplir compliquées.

Les années d'études précédant le baccalauréat ont été portées à sept pour les séculiers, à six pour les réguliers |6).

reproduit la bulle de Grégoire IX, la faisait suivre de ces mots : <■ Nos ■« autem provisionem, coustitutionem. concessionem. prohibitionem et M inliiljitionem hujusmodi approbaiites, ad instar pi'S'decessoris prœ- « dicti, ea omnia et singula mandamus et praecipimus inviolabiliter « observare.Datumapud Veterem Urbem i\ kal.febr.pontif.nost.aii.il».

(ij Introduction, tom. I, p. xxvn-xxvni.

Ci) Imprimés dans Hist. Univers. Paris., tom. IV, p. 4^6-427, avec ce complément de titre : Regidx scu Cotisuetwiines auL Statuta obsen:ata..., et aussi précédemment dans le Spicile(jiuin, de L. d'Achery, édit. in- fol., tom. III, p. -7)^.

(5, Impi'imés par Duplessis-d'.\cgeutré dans sa Collectio judiciortun..., tom. II, par. I, p. 46->-4'>7-

(4) Iiîî'M'inié dans Hislor. Unioc'-s. Paris., tom. II , pp. :>.^îi et suiv.

(5) Itjid., pp. a82 et suiv.

6) Dans les Statuta observata.. ., nous lisons cet article assez obscuré- ment rt^-digé : « ... studentes in iheologia, si sint saeculares, habeut ibi •« audire per septeni annos antequam admittantur ad lecturam Biblia;; « sed regulares adniittuntur in sexto anno. » Hist. Univers. Paris., tom IV . p. 426; Nous pensons qu'il > oit être combiné avec l'article corres- pondant des autres Sfatula qui se lisent dans d'.\rgentré, .'irticle ainsi conçu: « ... quod nnilus... légat aliquem cursum Bibliae, nisi prius jura- « verit se complevisse sex annos... » (CoWeof. jMrfic..., tom. II, par. I,

42 DÉVELOPPEMENTS

Pourquoi cette différence? Nous sommes obligés de poser la question sans la résoudre.

Gomme précédemment, il incombait au bachelier, qui s'ap- pelait biblkus, de faire des leçons sur TEcriture-Sainte . Ces leçons avaient pour objet l'explication de deux livres, l'un de l'ancien Testament, l'autre du nouveau, au choix du tachelier. Ce choix n'était pas accordé aux bacheliers des quatre ordres mendiants ni à ceux du collège des Bernardins : l'explication de la Bible en général leur demeurait imposée ou concédée (1). Pourquoi encore cette différence? Nouvelle question que nous devons nous borner encore à poser (2). La durée de ces leçons

p. 463. art. 12). Ces statuts se complètent, s'éclaircissent les uas les autres pour exprimer la règle que nous avons mentionnée.

En d'autres endroits encore, ces Statuia semblent manquer de préci- sion ou de clarté. Nous avons interprété les phrases ou les expressions dans le sens qui nous a paru le plus logique ou naturel.

Puisque les bacheliers restaient parmi les nations, il ne nous paraît pas hors de propos de faire connaître ici la composition de ces quatre com- pagnies, laquelle s'est complétée à l'époque que nous parcourons.

La nation de France se divisait en cinq provinces : Paris, Sens, Reims, Tours, I^ourges. Les provinces comprenaient le centre et le midi de la France. Parla province de Bourges, la nation embrassait, en les y enlaçant, l'Espagne, l'Italie, la Sardaigne, la Grèce, l'Orient, l'Egypte et généralement les pays qui ne se rattachaient pas à l'une des trois autres nations.

La nation anglaise se formait de l'Angleterre proprement dite, de l'Ecosse et de l'Irlande, de la Haute et de la Basse-Allemagne. Dans la première partie du xv« siècle, par suite de la guerre de Cent-ans, cette nation finit, par perdre son nom premier pour prendre celui d'Alle- mande.

La nation normande se limitait à la province dont elle portait le nom.

La nation picarde renfermait le nord de la France et les Pays-Bas jus- ques y compris le diocèse d'Utrecht.

{Hist. Univers. Varis., tom. III, p. ."iiS-SGo).

Voir aussi M. Thurot, De l'Organisât . de l'enseignem. dans l'Univers, de Paris au moyen âge, Paris, i85o, p. 19-20 ; Crévier, Hist. de l'Univers, de Pari^, lom. IV, p. 78-74.

(i) Statuta observala... Hist. Univers. Paris., tom. IV, p. 426: « Item « nota quod admissi ad lecturam Bibhae debent Folum légère duos « libros et taies sicut volueriiit légère, scilicet unum de veteri Testa- K mentoetalium de novo, exceptis illis de quatuor ordinibus Mendican- •c tium, qui debent Bibliam continue légère per duos annos, et etiam » unus de S. Bernardo. »

(2) M. Thurot a écrit à ce sujet : « Les Dominicains et les Franciscains « avaient fait sur la Bible des travaux importants pour cette époque ; dès « le xm* siècle, ils s'étaient appliqués ù l'étude du texte sacré; c'était « entre eux un sujet d'émulation. Ce fut, sans doute, la raison qui « décida la Faculté à charger leurs bacheliers de faire des leçons suivies « sur la Bible. » (De l'organis., de l'enscig. dans l'Univers, de Paris au « moyen âge, Paris, i8ôo, p. i4o). Cette raison ne nous paraît pas con-

DK LA FACULTÉ 43

était de deux ans. Mais il fallait attendre une année pour être admis à interpréter le livre des Seutencps (1).

Une année était consacrée à l'interprétation du livre clas- sique de Pierre Lombard. C'est alors que le biblicus devenait spntentiariiis (2]. Le cours allait de la Saint-Denis à la fête des saints Apôtres Pierre et Paul. Quand une maladie ou d'autres causes sérieuses ne permettaient pas de terminer le cours à l'époque fixée, on le continuait après la fête ;3).

Le privilège dontjouissaient les ordres meudiants et le col- lège des Bernardins touchant la durée des études, trouvait une sorte de contrepoids dans cette restriction qu'avait ins- crite la loi universitaire : ils ne pouvaient présenter chacun annuellement qu'un biblicus et xin sententiarius (4^.

Chaque cours annuel, tant des biblici que des sententiarii., s'ouvrait par une leçon solennelle ou nu principivm entre la fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix et celle de Saint-De- nis (5).

vaiucante ; car la Faculté ne nous paraît guère avoir été disposée à re- connaître officiellement la supériorité, sous ce rapport comme sous les auti'Bs, des religieux mendiants.

(i) Statiita ohservata..., ibid., p. 427 : « Item nota quod illi qui lege- « runt cursus suos in theologia, debent expectare, postquam inceperunt ♦< légère Bibliam per duos annos, antequam admittantur ad lecturara « Sententiarum. »

(2) D'après un passage de l'Opus majus, dit M. Thurot, il semblerait que les bacheliers sententiaires exi.'-.taient déjà à l'époque de la compo- sition de rO/)us. {Ibid.,i) iio, noteS). Nous avons être plus affir- matifs : les Statuta, à l'endroit cité et en plusieurs autres, .>ont formels.

(5) Statuta obsei'vata..., Hist. Univers. Paris., tom. IV, p. 426-427: « Item nota quod baccalarii in theologia qui incipiuut légère Sententias « in crastino S. Dyonisii, teneutur finire vel in festo Apostolorum Pétri « et Pauli. Tamen,si contmgeret illos infirraari infra prsedicta festa Dyo- « uisii et .\postolorum vel propter aliam causam vel causas dimittere <f légère in aliquibus diebus legibilibus, tum teuerentur tôt lectiones «. légère post praedictum festum Apostolorum, quot dimiserent infra «< praedicta festa Dyonisii et Apostolorum. »

(4) Collect.judic..., tom, II, par. I, p. 469, art. 12. L'article porte encore : « Si quis ordinum et collegii praedictorum dare aut praesentare negle- •< xerit biblicum, privetur pro anuo illo bacalario Sententiarum in suis << scholis. Si vero biblicus praesentatus et receptus in sua lectura déficit «c ad lecturam, postmodum noo recipiatur quoquo modo. »

(5) Statuta observata. . ., Hist. Univers. Pai'is., tom. IV, p. 426 : « Iteni « nota quoa baccalarii in theologia qui debent légère Sententias et illi qui « habeut légère Bibliam in quatuor ordinibus mendicantibus, debeut facere « priacipia sua iufra festum Exaltationis S. Crucis et festum B. Dyonisii. « Et praesuppo^ito quod tôt sint quot non possint complere, tamen non « sit in quolibet die, nisi unum principium, et, semper in l'rimis S. Jacobi

44 DÉVELOPPEMENTS

Les leçons des bacheliers prenaient le nom de cursoires [lectmnes cursoriœ], c'est-à-dire de cours préparatoires à la licence, tandis que celles des maîtres s'appelaient ordinaires parce qu'elles étaient en quelque sorte inhérentes au grade, nous voulons dire que le maître les faisait sans Atre, comme les bacheliers, sous la surveillance, la direction d'un docteur ou professeur (1). Nous verrons, au siècle suivant, les deux expressions ordinaires el cursoires s'appliquer l'une et l'autre et dans un sens un peu différent aux biblici.

Aux cours succédait la préparation immédiate à la licence, Quatre années étaient assignées à cette préparation. Durant ce laps de temps, le candidat devait être présent aux actes publics de la Faculté, prendre la parole dans plusieurs, attaquer des thèses, soutenir des argumentations, prêcher la parole évangélique (2). Seuls le pape et la faculté pouvaient accorder quelques gracieuses dispenses à ce sujet (3).

La préparation terminée, le bachelier demandait alors la licence, qui n'était encore autre chose que la faculté d'ensei-

« immediatis post prœdictum festum B. Dyoïiisii, illi qui non fecerunt, « faciunt, nec legitur aliqua hora m ipsa Facultate quousque omnia prsp- »< dicta principia siiit lacta totaliter et compléta. Tamen si |)auciora essent « principia. ita quod finita essent ante festum B. Dyonisii, nihilominus « non legitur in ipsa Facultate a crastino Exaltationis S. Crucis usque ad « crastinnm S. Dyonisii aliqua hora ».

Et quant aux bihliri, à l'exception de ceux appartenant aux Mendiants et au collège des Bernardins : « Item nota quod illi qui volunt légère M cursus suos in theologia, debent facere in quolibet libro unum princi- « piura «olemniter in aliquibus scholis. . . » ilfiid., p. '\9-). Nous restrei- gnons ce passage aux biblici. Si Ion voulait l'étendre aux seiitentiarii, lious devrions l'appliquer à chacun des quatre livres de-^ Sentences etdan.s le sens qui sera expliqué plus tard.

(i) Ca*évier, Hist. de l'Univ. de Par., tom. I. p. .'ï.'i^-

(î) Slatuta observata ab anliquo tempore . . . : « Baccalarii qui legerunt «< Sententias, debent postcaprosequi facta Facultatis per qiuituor annos « antequam licentientur, scilicet pricdicando, argumentando, respon- « dendo ». VA avec plus de détails : «... l)accalarii in theologia tcuentur « respondere de quaestione in locis publicis aliis baccalariis, quinquies ad « minus antequam licentientur, scilicet in aula episcopi Parisiensis, quan- « do fit ibi aliquis novus magister in theologia ; item in Vesperiis alicujus .( magistri ; item semel in aula Gerbonitarum (Sorbonistarum) tempore « quo magistri in theologia non legunt, scilicet inter festum Apostolorum « et festum Exaltationis S. Crucis; item semel de quodlibeto in Ad- « ventu vel circiter: item semel in disputationibus generalibus ante- « quam permittatur sibi légère Sententias ». [Hist. Univers. Par., tom. IV, p. 427).

(5) "... quod verum est, nisi papa per bullas vel facultas super hoc faceret eis gratiam. » {Ibid.)

DK LA FACULTE 4o

gner. 11 n'y avait rien de changé rolativcmont aux trois moi» accordés au chancelier pour s'enquérir de la capacité et des mœurs du candidat, puis, s'il le jugeait à propos, accorder Tiuitoi-isation solli<Mf»''e (11.

Voici donc dans une sorte de tableau les années d'études à IVturnir avant la licence :

1" Avant le baccalauréat, sept on six années;

2" Gomme bihlicL trois aimées;

3" Comme sentent iarii, une année;

4" Gomme préparation à la licence, quatre années (2).

Après Tannée d'explication des Sfntences, le bachelier était devenu, pour employer une expression usitée plus tard, sinon à l'époque présente, bachelier forme.

La licence ne s'accordait plus que tous les deux ans ; et, par une allusion à la loi nouvelle autant qu'à l'ancienne, l'année de la collation prenait le nom d'année de délivrance ou de ju- bilé. Il suit de qu'une année d'attente s'imposait aux bache- liers formés, quand la fin des exercices réglementaires ne concordait pas avec ce jubilé (3).

L'on découvre déjà trace de deux des trois actes solennels qui suivaient la licence : Yaiilique et les respéries (4). Mais c'est

(i) Voir notre Inlrodur.tiou, toni. 1, p.xr., bulle de Grégoire IX : « Ante « veroquamquemquam licentieticincellariusj.infratresmensesatempore « petitiP licentiae,tam ab omnibus magistris theologife in civitate pripsen- « tibus quam aliis viris honestis et litteratis per quas veritas sciri possit, « de vita, licentia et facuudia. necnon proposito et spe proficiendi et aliis « quîH in talibus requirenda (iiligenter inquirat et, inquisitione facta, « quid deceat... » {Hisi. Univers. Par., tom.lll, p. i4i).

(q) Nous nous croyons en droit, d'après ce qui précède, d'e.-itimer que M. Tliurot, Op. ci(., p. iô.5, n'est pas assez (sxact, lorsqu'il dit : « Le cours « d'études de la faculté de théologie, qui n'était que de 8 ans du temps « de Robert do Courçon, fut portée à ri au commencement du xiv« siè- « de. » C'est fin du xiii" qu'il eût été plus vrai d'éci'ire ; et encore n'eùt-il pas fallu fixer d"une fa^^on si absolue ou sans distniction le nombre : i4 ans.

Voir Grévier, Hist. de l'Univers, de Par., tom. IF, p. 'i48-/i''i((.

(.")) L'article dont nous venons de transcrire le commencement, se ter- minait par ces mots : « ... imo et per quinque annos aliquando expectat « (bacalarius), scilicet quando annus jul)ikeus non cadit in quarto anno " post lecturam dictarum Sententiarum. » [StatiUa obscrvala..., lUst. Univers. Par., tom. IV, p. 4''-7).

(4) Statiila ohservata. . ., Hist. Univers. Paris., tom. IV, p. ^26 : « Item nota quod. quando unus magist^r in theologia habet aulam « suam, illa die non legitur in Sententiis nec in Biblia.

« Item, quando unus baccalarius in theologia habet vesperias suas,

46 DÉVELOPPEMENTS DE LA FACULTÉ

dans le xiv^ siècle que nous verrons clairement la mise en pratique de ces actes. Pour l'instant, nous nous en tenons à ce qui se trouvait plus généralement en usage dans la période que nous étudions.

Donc, après la collation de la licence, la corporation des maîtres ou docteurs, en d'autres termes, la Faculté était ap- pelée, à son tour, à prorioncer l'admission du licencié. On exigeait de lui, au préalable : le triple engagement, juré, de se conformer aux statuts, de ne point révéler les secrets ni les délibérations de la compagnie, d'unir ses efforts à C(»ux des autres pour la revendication des droits et des privilèges ; une leçon ou une argumentation solennelle, acte qui por- tait ce nom significatif : principiwn, commencement, début. Ce triple engagement se prenait en présence de trois maîtres au moins (1). Des maîtres assistaient également à la leçon qui se donnait ou à l'argumentation qui se soutenait (2). Enfin, étaient maintenus les trente -cinq ans d'âge pour obtenir l'honneur du professorat solennel ou de la maîtrise.

« tune unus solus magister legit lu Primis, et prima die non legitur in K Sententiis nec in Biblia ».

Voir ces mêmes StaiiUa ohservuta pour les jours et les heures des au- tres lerous et actes des bacheliers et maîtres ou docteurs.

(i) Hist, Univers. Par., tom. III, pp. aSô, 'j85, bulle Quasi lignum : Statuistii iasuper ne ullus magister in quacumque Facultate ad colle- gium magistrorum admittatur, nisi prius in plena congregatione magis- trorum val saltem coram tribus magistris suae Facultatis ad hoc spe- ciaUter deputatis juraverit statuta vestra Hcita et honesta et vobis expodientia se finniter servaturum, sécréta quoque et consiHa vestra post inhibitionem sibi factam a vobis tidehter cekiturum, atque obHga- tionibus vestris licltis ac honestis ac vobis expedientibus prsecipue ex teuore privilegiorum vestrorum vigorem capientibus pacifiée coneor- diterque consensurum ».

(2) Ibid.

LIVRE II

CONFLITS

CHAPITRE I LUTTE OUVERTE CONTRE LES MENDIANTS

LUTTE CONTRB LES MENDIANTS SUR LE TERRAIN ACADÉMIQUE

Les Dominicains avaient refusé de se conformer au décret universitaire qui n'autorisait qu'une chaire dans les collèges des réguliers (1252; : ils pouvaient alléguer la possession (1). Un nouveau conflit, qui occasionna mort d'homme, entre les bourgeois et les écoliers vint. Tannée suivante, compliquer encore la situation.

Ce fut à la suite de déterminances pour les aspirants au bac- calauréat ès-arts. « Ces petites solennités, écrit Crévier,ame- « noient des repas de jeunes têtes s'échaufîoient. Il arriva « donc dans le carême de l'an 1253 que les écoliers prirent « querelle avec quelques bourgeois. La garde accourt et <( tombe sur les écoliers dont l'un fut tué et les autres menés « en prison après beaucoup de mauvais traitements et de

(i) Hist. Univers, de Paris., tom. III, p. 255 : « ... per seipsos secun- dam cathedram erexerunt et eas ambas aliquaudiu teiiuerunt », disait la lettre universitaire dont il va être question. Voir notre tome I, p. 168.

48 CONFLITS

« blessures. L'Université les réclama et ils lui furent rendus- « le lendemain dans un triste état et demi-morts » (li.

Les maîtres prirentparti pour les élèves. Ils suspendirent leurs leçons jusqu'au moment satisfaction leur serait don- née. Ils s'engagèrent môme par serment à user de tous les moyens équitables pour parvenir à ce but (2). Les Dominicains ne voulant se soumettre à ces décisions qu'à la condition de la reconnaissance de leurs deux chaires, il fut arrêté par le corps enseignant que désormais, pour jouir de la faculté aca- démique d'en-eigner, il faudrait préalablement faire le ser- ment d'obéir aux statuts dressés par lui (3). Nouvelle oppo- sition conditionnelle de ces religieux (4). D'ailleurs, n'était- il pas à craindre qu'il n'y eût incompatibilité entre des règle- ments universitaires et la loi fondamentale de l'ordre, loi

(i) Hist. de l'Univers, de Paris, tom. I, p. 5()8-3()9.

Le même historien place en note les lignes suivantes : ce II étoit déjà « arrivé quelque chose de semblable, suivant le rapport de Duboullai, « en moi ; et c'est à l'occasion de ces violences et de leurs suites, « qu'avoit été porté le décret dont j'ai parlé, touchant les mesures et « les règles qui dévoient être observées, lorsqu'il s'agiroit de rede- « mander un écolier emprisonné par le prévôt de Paris ou par ordre de « l'évoque.

« Le même décret contient une formule de serment par laquelle cha- « que maître devoit s'obliger à ne prendre sous sa protection aucun « malfaiteur et auteur de troubles, (jui prétendroit se faire passer pour « écolier. 11 n'est point dit dans l'acte que ce serment fût exi.é par ordre «' du gouvernement.

« Mais Duboullai ajoute ([ue l'Université alla présenter son décret à la « reine Blanche qui étoit actuellement régente en l'absence «le son fils << saint Louis, et lui en promit l'exacte observation. Cette princesse fit « prêter dans le même tems un serment semblable par tous les bour « geoisde Paris. Elle prenoit ces précautions pour prévenir les trouljles " que pouvoit occasionner l'absence du roi et le mauvais succès de la « croisade. Je n'ai point mis ces faits dans le texte, parce qu'ils ne sont. « point assez expliqués ni circonstanciés pour leur importance, et que « les actes qui en font mention laissent plusieurs choses à désirer. » Voir le texte du décret, dans Hist. Univers. Paris., tom. IM, p. ifio-'i^î, sous ce titre : Provisio magistrorum, qui debent dicxscholares, et qui sunt repetendi si capiantur, et a quitus.

Le décret visé est ainsi traduit par Crévier en ce qui concerne la demande de la mise en liberté d'un écolier arrêté par le prévôt de Paris : » Si c'est un écolier és-arts, son maître le redemandera au prévôt '< de Paris ; et, en cas de refus du prévôt, il en avertira le recteur qui « s'adressera àl'évêqueou à son officiai. Dans les autres Facultés, cha- '< que maître réclamera son écolier. » [Op. et vol. cit., p. .>75-374).

(a) Hist. Uîiivers. Paris., tom. IIF, p. aôi.

(3) Ibid., p. 9.52, cIaL.se déjà citée, su^r t, p, 4G.

(4) /6id.,p. 253.

CONFLITS 49

dont ils avaient juré robsorvance ' i'our lever l'obstacle, on voulait bien leur permettre d'ajouter cette clause au serment prescrit : « Pourvu que lesdits statuts ne renferment rien qui, « eu égard à la loi\ dominicaine dont je lais profession, de- tc vienne illicite pour moi... » ili La proposition ne fut pas accueillie. Alors l'exclusion du corps enseignant fat pro- noncée contre les Frères-Prècheurs et contre les Frères-Mi- neurs qui faisaient cause commune avec eux (2i.

L'Université obtint justice de la part du pouvoir royal, c'est-à-dire d'Alphonse, com'e de Poitiers, chargé du gouver- nement du royaume depuis la mort de Blanche de Gastille : les deux plus coupables dans l'affaire des coups portés aux étudiants furent punis de mort, et les autres exilés. Le corps enseignant rouvrit alors ses cours (3 .

Le second point litig-ieux ne prit pas aussitôt fin. Dans le premier, c'était l'intérêt général du corps enseignant qui se trouvait en jeu. Dans le second, l'Université défendait spécia- lement la cause de la Faculté de théologie.

Des tentatives de conciliation furent faites par les évêques d'Evreux et de Senlis et même par le légat apostolique en France : ici comme là, on parlait nu nom du Saint-Siège qui intervenait même directement en écrivant aux parties ad- verses. Tout fut inutile; et, des deux côtés, s'estimant fort de son droit, on ne gardait guère de ménagements. On dut donc porter juridiquement l'affaire à Rome (4; .

(i) flist. l'niv. Par., ihid., p. 256-257. Voici la clause telle qu'elle est rapportée dans un document dont il va être question, la lettre de TUni- versité aux prélats du monde catholique : « Dum tamen mihi qui regulani <i fratrum-Prsedicatorum profiteor, dicta statuta secundum earadem a regulam non sint illicita nec inhonesta, nec saluti animarum contrario, « nec juridiviuo aut hum^no aut etiam publicîe utilitati adversa, nec « sanctse Dei Ecclesise sint damnosa ■>.

(2) Ibid., pp. 25i, 253, 254

Les deux professeurs qui occupaient alors les deux chaires du cou- vent de la rue Saiut-Jacques, étaient le frère Bon-Homme Bonus-Homo et le frère Elle Brunet Elias Bruncti), le premier originaire de la Breta- gne, le second de Bergerac au diocèse de Périgueux : « Isti duo, dit « Salanhac, immédiate pnefati, regebant scholas nostras Parisiis, tem- « porc quo Universitas studii Parisiensis insurrexit contra fratres, incen- « tore malorum Guillelrao de Sancto-Amore... » (Script, ord. Traedkat., tom. I, p. lôg).

(3) Crévier, Hist. de l'Univers, de Par., tom. I, y>. 4oi.

(4;i Hist. Univers. Par., tom. III, p. 25i-255; Mémoires de la société de l'histoire de Paris et de l'Ile de France, tom. X, i883, jip. 20^ et suiv. trois bulles d'Innocent IV, en date des i" et 21 juillet et 26 août 1253 publiées pour la première fois par le P. Denifle. ^ '

50 CONFLITS

En même temps qu'elle envoyait dans la Ville éternelle des députés pour sa défense, l'Université voulut intéresser à sa cause l'univers catholique. De là, sa lettre, de février 1254 (li, à l'adresse des prélats de la chrétienté 2).

Le début était un hymne en l'honneur de l'Université : «La « droite du Très-Haut a placé autrefois à Paris un paradis de « délices, la vénérable académie des lettres. D'où cette source « abondante de sagesse qui, à l'instar des quatre fleuves, se « partageant en quatre facultés, à savoir les facultés de théo- « logie, de décret, de médecine, et celle comprenant la philo- « Sophie rationnelle, naturelle et morale, coule vers les quatre '< points du nionde pour arroser toute la terre ». Les maîtres qui enseignent en cette académie sont, sous l'habit séculier, tt vénérables par leur vie, illustres par leurs connaissances, religieux par i'esprit ». Grâce à leur enseignement, cette glo- rieuse école s'est parée de « très belles fleurs » et a produi^ « des fruits très abondants ». Pourquoi, en ces derniers temps^ la source a-t-elle été troublée daqs son cours"? Pourquoi l'ar- bre a-t-il vu sa sève ne plus circuler, féconde et puissante ? Ces malheurs ont leur cause dans les étranges prétentions de « certains réguliers qui se disent frères-prêcheurs ». Contra- diction étonnante entre leurs paroles et leurs actes ! Ils visent à la perfection par l'humilité, eli\'< ambitionnent l'honneur de la maîtrise ou du doctorat, contrairement à la parole évangé- lique : Nolite vocari Rabbi (3) et encore : ISlec vocemini magis- tri (4'. S'il n'y avait encore que cela ! Mais grand est le péril pour la Faculté; car, si les autres ordres se laissaient dominer par la même ambition, il ne resterait plus de chaires théolo- giques pour les séculiers (5); ce qui ne serait pas équitable, car. l'Université est séculière dans l'origine et les réguliers lui en-

(i) « An 10 Domini r^ST), die marcuiii proximi post festum Purifica- tionis lî. Marine Virgiuis. »

256

'5) Mat., XXXIII, 7 .^4) Ihid., XXXIll, lo.

(5) « Quod si forsan contigerit memorata collegia sibi ad instar Fratrutn- « Fraîdlcatornm cathedras geminare..., iuevltabiliter sequpretur seculares .< scholasticos imiversos, canonicis l'arisiensibus duiitaxat exceptis, a « catliedris theologiae fore in sempiternum exclusos ».

CONFLITS 51

lèveraient riiéritu^e de ses pères I Oui, alors, u cette ville de « Paris, favorable ajix études et depuis si longtemps et à tant « de frais appropriée par nous à cette destination, il nous fau- « drait, à cause des réguliers survenus, l'abandonner et nous « transporter, et non sans grand dommage, en des lieux moins « favorables, ou bien, désertant le sanctuaire des saintes « lettres, nous livrer aux sciences profanes La lettre se t(M"minait en indiiiuaiit les raisons premières qui l'avaient diclé'^ : c'était, avec l'intérêt de l'Université, l'intérêt général de l'Eglise, l'amour de la vérité (Ij. « Souvenez-vous, disait- « on, que vous avez été autrefois les fils de l'Université et « que, pai" la Providence divine, vous en êtes aujourd'hui les « pères. Ayez donc pour vos fils de la compassion, des en- " trailles paternelles... Puis, comme vous êtes les sentinelles « de la maison d'Israël, de ce lieu élevé vous vous trouvez, « considérez avec attention, examinez avec soin les immenses « dangers qui menacent; travaillez, si vous le jugez bon, et « dans la mesure du possible selon Dieu, à ce que le fondement « de l'Eglise, c'est-à-dire l'école de Paris, ne soit ébranlé ; « car, par là, l'édifice entier se trouverait en un péril immi- « nent » (2,. Grévier ne peut s'empêcher de convenir avec Fleury que, par ces dernières expressions, l'Université « s'at- tribue une gloire trop grande », tout en essayant d'en atténuer l'exagération par ces mots : « Mais c'était un langage presque « reçu, quoique peu juste ; et il seroit aisé de citer plus d'un « exemple d'expressions semblables ou, du moins, qui en « approchent fort, employées dans les monumens du « te m s n (3).

A la lêtc de la députation universitaire avait été placé Guil- laume de Saint-Amour, célèbre professeur de théologie, un des champions les plus dévoués de V Aima Mater, et, à la fois, un des adversaires les plus ardents des nouvelles familles re- ligieuses. Son zèle l'emporta trop loin et finit par nuire à la cause qu'il était chargé de défendre. Son apologie ne se borna pas aux faits : il y introduisit des questions étrangères, per-

(i) Nos publica universalis Ecclesiee utilitate inspecta, non propter nos « tantum, sed propter quaedani majora quse imminent, cupientes dictam « veritatem omnibus notam esse... »

lo) Lettre reproduite dans Ilistor. Univers. Paris., tom. III, p. ;)55- 258.

(5) Hist. de l'Vnivers. Paris, tom. I, p. /408.

OZ CONFLITS

sonnelles^ et, ce qui était très grave, il attaqua même la pro- fession, bien qu'autorisée par l'Eglise, de la mendicité reli- gieuse (i).

Alexandre IV venait de succéder à Innocent IV qui s'était montré favorable aux relig-ieux, mais à qui la mort n'avait pas permis de rendre le jugement attendu. Au nouveau pape de statuer sur l'épineuse aiTaire.Le moment venu, Alexandre IV, dans sa bulle Quasi Vifjnimi vitee, eut de nobles paroles pour l'Université. « L'arbre de vie dans le paradis de Dieu, « disait-il, l'éclat de la lampe dans la maison du Seigneur, « voilà ce qu'est dans la sainte Eglise l'Université de Paris. « En etTet, mère d'une féconde érudition, elle tire des sources <( de la sjUutaire sagesse des fleuves pour arroser la face sté-

'i!e de l'univers, réjouissant partout la cité de Dieu, dis- «t tribuant sur les places publiques les eaux de la doctrine aux « Ames altérées par la soif de la justice. Là, par la Providence " (bi Créateur, se forme la principale phalang-e des docteurs « pour répandre et garder la vérité, pour inspirer à la créa- « liii'o raisonnable l'amour du fruit de vie,' de peur que, sous - le ciiarme illicite de l'antique prévarication, elle ne goûte « au fruit de mort. Là, le g-enre liumain aveuglé par les té- « nèbres de l'ignorance originelle, retrouve la vue et la lu- « mière par les connaissances qu'on appelle la science de la « piété. Là, principalement, le Seigneur donne à son épouse « léloquencc, la sagesse, ce langage savant et élevé auquel % ne sauraient résister tous les assauts des méchants. » Néan- moins le pontife donnait gain de cause à la partie adverse. En }-econnaissant le droit de l'Université relativement à la cessa- tion de.'^ leçons, il arrêtait que la décision n'aurait force de loi géiiérale qu'autant qu'elle s'appuierait sur les deux tiers des suffrages dans chaque Faculté. C'était, en premier lieu, mettre de fortes entraves à l'exercice de ce droit, si ce n'était pas la rendre impossible, comme la remarque va en être faite. (Juaut au point litig'ieuXile décret fut annulé et, de parl'auto-

( 1' Risi. Univ. Par., tom. III, pp. -li)'), uyG ; Crévier, Hist. de l'Univers, di; l'iu'., toifi. I, pp. ^io-'\i'2.

(luillaume de S. Amour « est qualifié procîtrewr des maîtres et écoliers de >' l'nris ; ce que Duboullai (p. 270) interprète syndic de l'université. Mais ■< il est visible que le titre de procureur ne signifie ici que député fondé « dr inocuraiiun pour l'affaire qui se poursuivoit actuellement ".(Crévier, Ilisl. de l'Univers, de Par., tom. I, p. 4io, note.)

CONFLITS 53

rité apostolique, les Dominicains rétablis dans les prôrot^a- tives académiques (1). La bulle est du mois d'avril 1255 (2).

Les Franciscains qui, nous lavons vu, s'étaient d'abord joints aux Dominicains, ne paraissent pas avoir persisté dans leur opposition, car, visés par Innocent IV (3), ils ne sont pas nommés dans l'acte d'Alexandre IV. Leur soumission avait leur mériter leur rentrée au sein du corps enseignant.

Les évi^'ques d'Orléans et d'Auxerre étaient nommés com- missaires pour l'exécution de la bulle avec pouvoir do frapper les rebelles des foudres ecclésiastiques. Naturellement la Fa- culté de tbéologie était prise à partie et invitée à obéir dans l'espace de quinze jours, à dater de la réception de la lettre apostolique à elle adressée (4), et cela sous peine de suspen- sion d'oltices et de bénéfices. Cette lettre et celle aux deux prélats portent la même date que la bulle (5).

Qu'allait faire l'Université ? Se soumettre lui coûtait trop. Résister ne lui paraissait pas assez évangélique. Elle résolut de ne faire ni l'un ni l'autre en prononçant sa dissolution comme corps enseignant. C'était une mesure qui ne pou- vait arrêter les prélats commissaires : l'excommunication fut

(i) « Praedictos insuper praedicatorumordinisfratrestheologicae Facul- '< tatis magistros ad magistrorum consortium ipsoscjueac auditores eorum « ad Universitatis coliegium de nostrcT potestatis olenitudine restituentes « omnino, et decernentes ad eadem consortium et coliegium a vobis in « dulcedinis ubere sine difficultate qualibetadmittendos, emnes senten- « tias privationis seu separationis a consortio Universitatis vel similibus, « sive pœnas alias in eosdeni fratres vel scholares, eorum pra^missorum « occasione, prolatas penitus revocamus ».

(2) La bulle Quasi lignum, Hist. Univers. Par., tom. I, 282-28G, est <( datum Neapoli 18 kal. mai pontifie, nostri, an i ».

Dans deux bulles du 2(î août 1254 (Eist. Vriivers. Par., tom. III,

p. 254).

Innocent IV prescrivait dans lune « ut magistros minores et prcedica- tores a suo consortio per injuriam ejectos restituèrent », et dans l'autre « non tantum molestos non esse magistris Fratrum Minorum et Praedicatorum, sed eosdem omnipotiushumanitate et anima fovere. ■>

Voir aussi les trois autres bulles du même pontife nouvellement pu- bliées, un peu plus haut mentionnées, et dans lesquelles les deux ordres susdits sont également nommés.

(4) Ibid., p. 286-287: « Dilectis filiis magistris Facultatis theologica^ Pa- «« risius commorantibus. . . .Mandamus quatenus fratres et auditores « ipsorum intra i5 dies post receptionem pra^sentium. . . ob nostram et « apostolicae sedis revereutiam in dulcedinis ubere admittatis et tractetis « de cœtero socialiter et bénigne ».

(5) Ibid.

54 CONFLITS

lancée. Les maîtres qui ne formaient plus corps répondirent que cela «■ ne les concernait en rien: que l'excommunication « devait être siiinifiée aux académiciens, s'il y en avait, mais « non à eux-mêmes qui n'étaient plus académiciens » ; que tout ce qui se faisait et se ferait contrairement à cette règle était et serait nul de plein droit; qu'enfin ils en appelaient à Rome. Ils déclarèrent aussi que l'Université était parfaite- ment fondée à opposer le refus de réintégrer les Frères-Prê- cheurs pour sept raisons dont les trois premières étaient for- mulées en ces termes :

« Premièrement, nous disons que nous ne devons pas les <i admettre dans notre société, sinon de notre propre volonté, « parce qu'une société ne se constitue pointpar la contrainte, a mais volontairement et d'une façon désintéressée;

« Deuxièmement, nous disons que nous ne devons pas les « admettre, parce que bien des fois nous avons éprouvé que ^ leur société nous était désaventageuse et périlleuse ;

« Nous appuyons, en troisième lieu, notre assertion sur tt (-(MM : ils sont d'une autre profession que nous, étant régu- « tiers et nous séculiers, et, dès lors, nous ne pouvons faire « cause commune avec eux dans une fonction scolastique, car « ces paroles d'un Concile d'Espagne : Tu ne laboureras point « avec un bœuf et un âne attachés ensemble, signifient : Tu ce n'associeras point dans une fonction les hommes de pro- « fession diverse » (1).

L'Université persistait donc dans sa résolution. L'on était près des vacances. Plusieurs membres quittèrent Paris dans la pensée de n'y pas rentrer de sitôt, car le conflit paraissait devoir se prolonger. Ceux qui restèrent firent, après la Saint- Remi, une tentative à. Rome, en adressant au pape une lettre justificative [2).

Ils prenaient la qualification de « restes de la dispersion des « étudiants de Paris, habitant en cette ville près le collège de « l'Université ». La situation qu'on voulait leur faire était in- tolérable, impossible. « Etrangers, disaient-ils, sans secours, « nous sommes exposés à des injures atroces, à des voies de « fait. Suspendre nos leçons pour appeler l'attention du prince t et nous faire obtenir justice est notre unique ressource.

(i) Hisl. Univ., Par., ibid., p. 287-288.

(2) Ibid., p. ^88-292. Elle est datée . « Parisius VI octobris, au i-.>ô'). »

^ CONKI.ITS 55

" Mais voici que nous en sommes dépouillés par l'exigence '< des deux tiers des suffrages dans chaque Faculté fl). Car « comment les obtenir de la Faculté de théologie composée « déjà pour plus du tiers, nombre .ippelé encore à s'accroître « en vertu de la dernirre bulle, de chanoines de Paris et de << religieux rorlemeiit opposés, nous ne l'avons que trop « éprouvf!', à la cessation des cours i2i ». La sagesse de l'arrêt de dissolution, les sévérités inexplic;\bles des prélats- commissaires, les procédés des Mendiants à l'égard de Guil- laume de Saint-Amour qui, de son côté, ne les épargnait guère , tout cela était longuement exposé. On espérait une réponse favorable et prompte; et, sans doute dans la pensée de la provoquer, on faisait la déclaration suivante : '< Sachez « que nous sommes disposés à transporter nos écoles dans « un autre royaume ; ou bien, si sur une défense de votre « part nous ne pouvions autre chose, nous aimerions mieux « renoncer à renseignement, rentrer dans nos foyers et y « jouir de la liberté naturelle, que d'étouffer sous le poids « d'une intolérable servitude, funeste conséquence d'une so- « ciété forcée avec les Frères-Prêcheurs «.

Il semble bien, cependant, que, si les maîtres de TUniversité renonçaient aux actes solennels, ils ne faisaient pas complè- tement trêve avec les leçons : c'est, du moins, ce qu'Alexandre IV allait bientôt consigner dans une bulle (3).

Quant aux Frères-Prêcheurs, ils faisaient leurs cours et même procédaient solennellement aux actes académiques ; mais ce n'était pas sans avoir parfois besoin de la milice ar- mée (4).

La lettre des « restes de la dispersion des étudiants de Paris » n'eut d'autre résultat que la fulmination de quatre nouvelles bulles : l'une au chancelier de Sainte-Geneviève pour lui intimer l'ordre de ne conférer la licence, n'im-

[i] «... ni si de consensu duarum partiuin magistrorum cujnslihet Ka- cultatis. . . »

(2) «... cum enim magistrorum salteni tlieologisepars major qiiam « tertia de canonicis ecclesia' Parisiensis et fratribus aliorum cou\>'n- « tuum maxime occasione ordiuationis semper existât. . . »

(3) Ibid., p. 338.

(4) Ibid., p. 390 : « ... quoiiiam ipsi de mandate domini régis para- « tam semper habeant ad nulum suum nuiltitiidinem armatorum, unde « etiam solemnitates magisteriorum suorum nupersine nobis cum armis « pluribus celebrare ceperunt. .. »

56 CONFLITS

porte dans quelle Faculté, qu'aux observateurs de la bulle Quasi lir/num il); les trois autres aux évêques d'Orléans et d'Auxerre et toujours en faveur des religieux de la rue Saint- Jacques. La première est du 25 novembre de la même année 1255 (2), les secondes des 4 et 7 décembre suivant (3). Le pape ordonnait de procéder par la rigueur, en cas de non-soumis- sion, contre les fauteurs du désordre et, en particulier, contre Guillaume de Saint-Amour qui, dès lors, était de retour de sa mission de Rome. Mais, en France, on estima qu'il était pru- dent de soumettre l'affaire au Concile de Paris qui allait s'ou" vrir. Une commission, en effet, y fut nommée qui rendit une sentence arbitrale au mois de mars 1256.

Suivant cette sentence, les deux chaires des Dominicains étaient maintenues, mais eux-mêmes demeuraient hors de l'TTniversité, à moins que celle-ci ne leur ouvrit volontaire- ment son sein (A).

Le premier inconvénient de la sentence était de créer, à côté de l'ancienne, une sorte de nouvelle Faculté de théologie. Le second et le plus grave résultait de la dérogation formelle à la huWe Qtmsi lignum. Rome déclara la sentence non-avenue. Ce fut l'objet d'une bulle, en date du 17 juin, adressée à l'évê- que de Paris (5).

(0 Hist. Univ. Pai\, ibid., p. 295 .• « ... mandamus quatenus regendi « Parisius in aliqua Facultate iiemini licentiam tribuas, qui dictam ordi- « nationem noluerit observare ».

(2) « Datum Laterani 7 kal. decembris poniif. nostri, au i ».

(3) Ibid., p. o;/4.

(4) Ibid., p. ap.S-agy.

Ce concile de Paris, le XXX*, doit être considéré comme national : « Tune Lutetia? synodus celebrabatur Ecclesiae Gallicanae. » [Hist. Univ. Par., tom. III, p. 295^.. Aussi la commission, chargée d'examiner l'affaire et de prononcer la sentence, était-elle ainsi composée :

Henri Cornut, archevêque de Sens, président du conseil ;

Philippe Berruyer, archevêque de Bourges :

Thomas de Beauraets, archevêque de Reims;

Eudes Rigaut, archevêque de Rouen.

La sentence porte pour date : « .\ctum anno Doraini 1-255 (i256) die I martii. »

Eudes Rigaut aura son article et Philippe Berruyer quelques lignes, dans notre histoire littéraire.

Le nom de Thomas de Beaumets peut s'écrire encore, suivant le Gai. christ., tom. I.X, col. 1 13 : Thomas de Beaumais, de Beaumeix, de Beau- manoir, en latin dcBello-mtso, de Bello-man.'io, de Bellomanere.

(5) Hist. Univers. Par., tom. III, pp. 5o2-3o5. La Bulle est donnée à Anagni ■< 11 kal. julii pontificat, nostri an II. »

CONFLITS 57

Dans celte bulle, le pape frappait, on les déclarant privés de leurs dignités et bénéfices, les docteurs en tliéolof^ie qu'il esti- mait être les meneurs au sein de l'Université [tanquam prin- ripalps hifsjusmodi rebelUonis et contumaciœ hicentores) : Guil- •laume de Saint-Amour, Eudes de Douai, Nicolas de Bar-sur- Aube et Chrétien de Beauvais. S'ils ne revenaient à de meil- leurs sentiments, ils étaient déclarés indifinesetdevaient être bannis du royaume. L'éminent destinataire était chargé de rexécutidn de la bulle. Mais, relativement au dernier point surtout, il fallait l'appui du pouvoir civil. Dix jours plus tard, c'est-à-dire le 27 du même mois, une autre bulle prenait le chemin de la France et à destination du roi. Le pape qualifiait les quatre docteurs de « rebelles à l'Eglise romaine, » de « provocateurs de rébellions», de «perturbateurs de l'Univer- sité de Paris ». En conséquence, à moms de soumission aux ordres formulés dans la bulle à l'évêque de Paris, il deman- dait que le séjour dans le royaume de France leur fût interdit; ou plutôt il serait bon, ajoutait-il, pour servir de salutaire exemple, que le bannissement des deux plus coupables, Guillaume de Saint-Amour et Chrétien de Beauvais, fût con- verti en détention (1). Néanmoins, ces mesures rigoureuses ne furent pas appliquées.

L'Université ne fléchissant pas, n'y avait-il pas à craindre qu'elle ne convertît en fait la menace formulée à la fin de sa missive au pape? Pour vaincre la résistance et parer au malheur, ce dernier écrivit d'abord à l'évêque de Paris (2), puis à l'Université elle-même. Dans la bulle à cette dernière^ en date du 15 novembre 1256, il eut recours à l'accent paternel, aux expressions élogieuses, aux conseils, aux exhortations. « L'Université dans la ville de Paris, disait-il à la fin de sa « bulle, s'est toujours heureusement accrue et a produit les « meilleurs effets. L'éloigner de Paris, la transférer ailleurs, « loin d'être avantageux en rien, serait très domma- « geable » (3). Tentative infructueuse! Alors l'autorité ponti-

V. aussi, Ibid., p. ôo-, la bulle aux Dominicains, donnée également à .\nagni « kal. julii pontificat, nostrian II. »

(i) Hint. Univers. Paris., loir.. III, pp. 5o6-5o7. La bulle est donnée à Anagni « 5 kal. jul. pontif. nostri an II. »

(2) Hist. Univers. Paris., tom. III, p. 5o5, bulle du 27 juin, par consé- quent de la même date que celle au roi.

(3) Ibid., p. 33 1-555 : « Datum Anagnise 17 kal. decerabris pontif. nostri an. II. »

o8 CONFLITS

ticale décida de frapper le dernier coup pour avoir le dernier mot. Si la soumission à la bulle Quasi l'ujvum demeurait la condition de la levée des excommunications encourues, la résistance davantage prolongée pouvait, d'autre part, attirer les coups dubras séculier : «. . . carissimi in Christo tîlii illus- tris régis Franciœ ad hoc, si opus fuerit, auxilio invocato »^ était-il marqué à févéque de Paris, auquel le pape demandait d'assurer l'obéissance aux ordres pontificaux (1*. La soumis- sion se fit. L'on était arrivé aux derniers mois de l'257 (2).

L'Université supporta avec peine sa défaite. Dans son dépita elle avait parfois recours à de misérables chicanes. G'estainsi que, dans ses assemblées, elle semblait se complaire quelque- fois à mettre en délibération cerlaines propositions brûlantes, par exemple le rappel du plus chaud adversaire des Men- diants, Guillaume de Saint-Amour, qui payait par l'exil son zèle universitaire. C'est ainsi encore que, réglant l'ordre des préséances entre les religieux aux réunions académiques, et même aux sermons, processions, solennités, elle se donnait la satisfaction d'assigner le dernier rang- aux Dominicains (3). Enfin, elle n'avait pas d'autre tut quand elle approuvait la conduite des maîtres ès-arts et autres maîtres canonistes et physiciens ou médecins, lesquels prétendaient n'être pas

(i) Hisi.. Univ.. Par., ibid., p. ô4o.

(•<) Ibid., p. ôô.l-ô^â.

Les frères Bon-Homme et Elle Brunet furent donc rétablis dans leurs chaires.

On retrouve le premier au ctiapitre de Valenciennes en 1269 et à celui de Paris en 1269. Il écrivit sur les livres saints et sur les Sentences de Pierre Lombard, ouvrages dont on n'a pas de traces [So'ipi. ord. Prxdi- cat., tom. I, p. i/jo).

11 y a lieu de penser que le second donna plus tard des leçons à Tou- louse et à Montpellier. C'est tout ce que l'on peut dire. (Ibid., p. 1.59.)

Ou ignore la mort de l'un et de l'autre.

(ô) Hist. Univers. Paris., tom. lU, p. 556 : «. . . ut postea magistri in « theologia post omiies alios magistros juvenes et antiquos tam siHculares « quam nlios religiosos illius Facultatis in congregationibus, vesperiis, « auiis episcopi, principiis quibuscumque et in quacuinque Facultate ulti- « mum locum habeant et infîmum. . . Et cum in sermonibus, processio- t> nibus seu disputationibus coram domino nostro rege et alibi. . . »

Rien moins que trois séances furent nécessaires pour porter ce décret : « Datum Parisius in cong. egatione generali magistrorum tam regentium « quam non regentium apud S. Mathurinum super hoc specialiter terna « vice ad praîdicta ordinaudum et statuendum congregata et vocata diebus « 20 niensis januarii, 19 februarii et concorditer 21 ejusdem menais « februarii an 1239. . . Et quod bachalarii praesentati praedicti ordinis. . . « ultimum locum habeant. . . »

V

CONFLITS 59

tenus à regard des Meiidi.iiits aux niTMiies obliiialioiis nue les maîtres eu théologie. Aussi le pa|)e dul-il écrire à l'évAque de Paris pour protester contre semblal)lo interprétation '1), et se crut-il obligé de prier le roi de France de donner au besoin secours- à ce jirélal dans rcxécidion des oidres aposto- liques (2 .

Deux autres graves questiojis doctrinales'avaient été déci- dées, durant le conllit, par le Saint-Siège. Ce sont celles con- cernant les erreurs renfermées dans ces deux ouvrages : les Prrils des derniers temps et le Livre de V introduction à l'Eva/t- gile éternel. Ce sera la matière du second chapitre de ce livre.

Il

LUTTE CONTRE LES MENDLANTS SUR LE TERRAIN DES PRIVILÈGES

Le conflit s'était encore aggravé d'une question de privi- lèges ou d'exemption qui ne devait pas sitôt prendre fin. Recevant leur mission du Saint-Siège, les Mendiants se pré- tendaient indépendants des curés relativement à la prédica- tion et à l'administration du sacrement de pénitence; mais les titulaires des paroisses qualifiaient d'illégitime, d'injusti- fiable semblable prétention.

(0 Hist. Univers. Paris., toin. III, p. ôôi, bulle datée d'Anagni le 27 juin iiiSg.

Dans cette bulle, le pape veut que Guillot, bedeau des écoliers de la nation de Picardie, soit à jamais privé de son office, parce que le dimanche des Rameaux, pendant la prédication de frère Thomas d'Àquin, il s'était écrié (lu'un livre il entendait le De perindis était composta contre l'ordre du prédicateur; et, en attendant, le téméraire bedeau était excommunié.

(2) Ibid., p. r),'>ô, bulle datée d'Anagni le i5 juillet de la même année : « Cum autem venerabili fratri nostro episcopo Parisiensi contra turba- << tores eosdem diversa mandata doderimus, in quibus exequendis ipsum « oportet regalis potentiae brachio adjuvari, celsitudinem tuam rogamus « et hortamur attente in remissionem tibi peccaminum suadentes, qua- <( tenus eidem episcopo ad compescendum et puniendum illos, prout « expedire cognoverit, dexteram traditae tibi potestatis accommodes, « quoties fueris requisitus. . . »

Du Boulay a écrit ces mots : « Quis non fremat, cum audit tôt bullas « levem ob causam datas? tôt fulmina manu apostolica emissa? quis non « miretur pontificem, alioqui virum optimum, ita ab inimicis Universitatis « induci potuisse, ut tam vehementer persequeretur Academiam Pari- « siensem!... >• {Ibid., p. .155).

60 CONFLITS

L'Université prit parti pour ces derniers, et la Faculté de théologie fournit des défenseurs. Voici leur théorie que Gré- vier résume très bien en ces termes (1) : " De même que Jésus- « Christ avoit autour de lui deux ordres de ministres, les « Apôtres et les soixante et douze disciples, pareillement dans « l'Eglise les évêques tiennent la place des premiers et les « curés celle des autres;... dans ces deux ordres est ren- « fermée toute la hiérarchie; d'où il s'ensuit que quiconque « n'y est pas compris ne peut faire aucune fonction ecclésias- « tique, si ce n'est de leur consentement et sous leur dépen- « dance. » Qu'on ne vienne pas alléguer l'autorité du pape : il n'est pas vraisemblable que le pape veuille « troubler une si sage économie » ou « priver personne de ses droits» (2); conséquemment, lorsqu'il accorde une permission générale, c'est à la condition sous-entendue de l'invitation ou de l'agré- ment du curé. En ce qui concernait le sacrement de péni- tence, il y avait lieu d'invoquer le canon du IV^ Concile de Latran, qui faisait aux chrétiens une obligation de la confes- sion annuelle au propre prêtre.

Si, d'un côté, on allait au-delà de l'intention du Saint-Siège, on ne savait pas, de l'autre, se tenir dans les limites d'une rigoureuse doctrine. Assurément il n'entrait point dans la pensée des souverains-pontifes d'imposer les religieux comme prédicateurs et confesseurs dans les paroisses; ils voulaient qu'on les accueillît comme auxiliaires en ne s'opposant pas à l'exercice d'une mission ou de pouvoirs tenus de Rome. Dès lors, les religieux se trompaient en ce sens qu'ils jugeaient pouvoir se passer de toute permission curiale. Mais la Faculté se trompait également lorsque, formulant une doctrine qui lui est demeurée chère, elle affirmait que le pape trouvait devant lui les droits curiaux à maintenir intacts. Le pape n'a-t-il pas pouvoir sur toute l'Eglise, comme les évêques sur leurs diocèses respectifs? Les fonctions que le pape et les évêques peuvent exercer par eux-mêmes, ne peuvent-ils pas, quand ils le jugent à propos, les déléguer à d'autres? Pour s'arrêter aux expressions mêmes du Concile de Latran, le propre prêtre n'est-ce pas le pape par rapport à l'Eglise uni-

(i) Elle s'affirmait tout particulièrement au chapitre II des Périls des derniers temps, livre mentionné à l'instant. (2) Histoir. de VUniv. de Paris, tom. I, p. 475-474.

CONFLITS 61

versoll(.\ rév(Mjiic par rapport au diocèse, aussi bien que le curé par rapport à la paroisse? Si celui-ci, dans les limites de sa juridiction, donne la permission de faire à autrui la con- fession annuelle, pourquoi les autres, dans les limites de la leur, ne jouiraient-ils pas de la même faculté? Telle fut bien la réponse victorieuse qu'opposa un jeune religieux de la famille dominicaine, Thomas d'Aquin, dans son opuscule : Contre ceux qui attaquent la profession religieuse (1).

La Faculté, il est vrai, avait cru parer à toute objection sérieuse en faisant certaines distinctions plus ingénieuses que solides. Nous citons encore Grevier : « Les docteurs de « Paris, dit-il, ne contestoient point la légitimité d'une con- te fession faite par un paroissien malgré son curé au pape ou « au pénitencier du pape, à Téveque ou au pénitencier de « l'évêque. Le chancelier et les docteurs en théologie de (( Paris en passèrent un acte unanimement délibéré et muni « de leurs sceaux, au mois de janvier 1253... Mais ils ne « pouvoient digérer la confusion qui résultoit des permis- K sions vagues données par le souverain-pontife, et d'une « multitude de privilégiés, (par lesquels les mendiants), trans- ie formés en pasteurs et presque en évêques universels, « venoient, sans le consentement des pasteurs ordinaires et " malgré leur résistance, faire dans leurs églises toutes les « fonctions du saint ministère » (2).

La condamnation, par Rome, du livre Les Périls des derniers tf'nips, put faire quelque peu sommeiller le conflit. Mais, les parties restant avec leurs prétentions, il ne fallait qu'une occasion pour qu'il se réveillât ardent comme dans le passé.

(i) Contra imjnifjnantes Dei ndtum et religinnem.

(2) Wst. de VUnivcrs. de Paris, lom. I, p. 'iyô.

Voici l'Acte délibéré par la Faculté de théologie et qu'on portait solen- nellement à la connaissance de qui de droit :

« ( Jinnibus praesentes litteras inspecturis magi^ter ffainiericus cancel- « larius Parislensis c;Pterique S. Scripturae Parisienses doctores,' quorum « sigilla prîpsentibus litteris sunt appensa, salutem in Domino. Uni- « versitati vestrœ volumus esse notum,quod consultl fuimus a quibûsdam « utrum, sacerdote parocliiali contradicente vel invito, parochianus ejus K domino papœ seu ptenitentiariis suis vel suo episcopo aut pc-enitentii « ariis ipsius, ca-n voluerint, peccata sua universaliter valeant confiteri « atque ab eisdem pjenitentiam pro comniissis recipere salutarem. Cui « consultation! respondentes diximus etdicimus, in hoc unanimiter'con- (( sentientes, pnedicta licite posse fieri et debere. Si qui autem dicant <e aut dixerint contrarium, quantum in nobis est, reprobamus, trroneum « relutantes. Actum anno Domini laSa (i255) mense jauuario ». (Hist. Univers. Paria., tom. III, p. 2^9; CoUeet. judicior..., tom. I, par. i, p. 162)'

62 CONFLITS

Simon de Brion était monté, en 128i, sur le trône pontifical sous le nom de Martin IV. Nous l'avons vu, dans des circons- tances critiques, se montrer zélé pour la grande cause uni- versitaire. Tout en continuant d'être bienveillant pour VAlina Mater, il laissait subsister les privilèges des Dominicains et des Franciscains; et ceux-ci en usaient largement.

Il y eut une protestation générale en France et, spécia- lement, an XXXVP Concile de Paris, concile national com- prenant quatre archevêques et vingt évoques. Il se tenait, en décembre 1283, au palais épiscopal et sous la présidence de Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges (1). On demanda l'adjonction de l'Université qui ne pouvait se tenir à l'écart. De dures paroles furent prononcées. Des menaces de résis- tance se firent entendre. « Hélas! s'écriait Simon de Beaulieu, archevêque do Bourges, maymis per oninia cîerinis^ «hélas! la charité s'est refroidie, l'ordre ecclésiastique est « en proie à une profonde confusion, parce que beaucoup ont « conduit leui* faux dans la moisson d'autrui, en sorte que « l'Eglise apparaît une sorte de monstre. Gomme on appelle « monstre dans le corps naturel l'usurpation par un membre « d'un office qui convient à un autre membre, ainsi doit-on « entendre dans le corps spirituel ou l'Eglise l'usurpation « par des frères lettrés et savants, majeurs ou mineurs, d'un « olïice qui nous est spécialement commis, usurpation inique, « car personne ne doit s'attribuer l'honneur, s'il n'est appelé « par le Seigneur comme Aaron (2) ». De son côté, Guillaume

(i) VHist. Univers. Paris, fixe la date de ce Concile en io.85. Le G(//- liachristiaua, tom. VII, col. ii6, adopte cette date d'après ÏHistoria Uni- versitads Parisiensis, <■<■ ut habet Bulœus. » Mais VArt de vérifier les dates, Chronol. des concil., aussi liien dans la troisième édition que dans les deux précédentes, et \e Dirlionnaire portatif des Conciles, Paris, i-jC->!\, placent ce Concile en Tannée i'>.8i. Nous estimons qu'il y a lieu de nous en tenir aux deux premières autorités ; car, comment, nommé au siège de Bourges par lettres pontificales en date du décembre la.Si, Simon de Beaulieu aurait-il pu, en qualité d'archevêque, présider un Concile ce même mois de la même année? \Gal. Christ., tom. II, col. -jô). Tout ce que l'on pourrait accorder à l'opinion contraire, c'est qu'il y aurait eu deux Conciles, l'un en décembre i\i8i, l'autre aussi en décembre 1285, tous deux abordant le même conflit ; et alors l'archevêque de Bourges aurait présidé le second. Mais ces deux Conciles se ressembleraient telle- ment sous tous les rapports, qu'il est plus simple de n'en faire qu'un.

Cet archevêque de Bourges aura plus tard sa notice.

(2) Affirmant que la cause de l'épiscopat était celle de l'Université et réciproquement, Téminent orateur estimait qu'il n'y avait pas un évêque en France qui n'appartint à VAlma Mater : « quod nos sumus vos eritis ;

CONKLITS (•,:{

de Màc.oii, évèque d'Amiens, jurisia maj-htins, demandait à rUniversité de vouloir bien s'unir aux prélats du Concile, paire qu'ils étaient résolus à résister jusqu'au sang- [i\. Un mémoire fut rédigé. Simon de Boaulieu passe pour avoir été chargé de ce soin. Le début montre bien qu'il s'agissait d'une pièce a adresser au pape; car, en cet endroit, les pré- lats le suppliaient de vouloir « apporter sur co point nu remède opportun selon Dieu et la justice » '*). En cet étal, le pape donna, en janvier do l'année suivante,

« credo enini quod non sit liodie pra^latus inter nos qui de liac Universitate « non sit assumptus. »

Le discours comprenait quatre points.

L'orateur étal)lissait, dans le premier, que la charité demandait aux prélats de |)ourvolr au salut du troupeau confié ; dans le second, qu'elle les obligeait à prendre, à ce sujet, les mesures nécessaires ; dans le troisiènie, qu'elle prescrivnit de donner sa vie pour ses brebis; dans le quatrième, qu'elle faisait un devoir de ne pas empiéter sur les droits d'autrui. ^HisL littér. de /a i'>a?îr. tom. XXI, p. aô).

{i) Hist. Uîiivcrs. Paris., tom. III, p. 4'>J-4'i6.

Avant d'être promu à l'épiscopat, Guillaume de Màcon avait été cha- noine de Paris, chanoine de Beauvais, doyen de Laou. (Hist. littijr. da lu Franc, tom. XXV. p. 38 1.)

Dans l'épitaphe consacrée à Guillaume de Màcon et reproduite par le Gallia Christinna, tom. X, col. iiyo, nous trouvons ces deux vers :

Qui prius artista, doctor fuit et canonista Summe famosus, facundus et ingeniosus.

{2) Mémoire conservé dans le nis. lat. 5i2o de la Biblioth. nation. C'est la 18" pièce.

Baluze a imprimé, dans ses Vitie paparum Aveniosensium, tom. l], col. lo-ii, une décision qui avait été prise, en 1282, sur la matière, par seize docteurs de la Faculté de théologie de Paris : Determmatio magistrorum théologien' FaculUdis in Acadeinia Parisiensi circa confessionem peccatorum. Cette décision était rédigée sous la présidence ou avec l'approbation de Ranulfe d'Humblieres, évèque de Paris, car elle débute par ces mots : « Universispriesenteslitteras inspecturis R.,divina miserationeParisiensis « episcopus, Odo de Sancto-E)ionysio. . . » Parmi ces docteurs, il y avait des séculiers et des réguliers. L'assemblée s'exprimait donc en ces ter- « mes : Nos notu.u facimus, quod, cum nobis fuerint casus proprositi : « Ulrum aliquis vere pxnilens et conf'essusetrite absohdus ab eo quipotest, « teneatur eadempeecata numéro iterum confiteri. et Vtrum aliquis possit aut « debeat prohibere aut per modum aliquem obligatorium impcdire quominus « possit eadem peecata vel alia alteri confiteri; respondimus et responde- « mus ; quantum ad primum, quod vere pœnitens et confessus et rite « al)solutus ab eo qui potest, si pœnitentiam sibi iujunctam prius in me- .( moria teneat, non tenetur eadem peecata numéro iterum confiteri : « quantum ad secundura, dicimus quod non potest aut débet aliquis audi- (( lor confessionum prohibere confitentem, coufessum vel contessuruin « quominus uni confessori confessus possit alteri confiteri eadem peecata a numéro vol alia introducta. Si qui autem dicunt coutrarium aut dixe- « runt, quantum ia nobis est, erroneum reputamus. «

64 CONFLITS

une bulle qui modifiait formellement en un point les précé- dentes, car elle enjoignait aux fidèles de se confesser à leurs curés, au moins une fois Tan, selon la prescription conciliaire; ordre était même donné aux religieux d'engager leurs pé- nitents à Taccomplissement de ce devoir (1).

Néanmoins, le conflit était loin de prendre fin. En 1287, au Concile de Reims, Pierre Barbet ou Barbets, métropolitain, sept de ses sufîragants, les députés de deux autres diocèses et un certain nombre de docteurs de Paris « résolurent unanime- a ment d'envoyer à Rome pour y poursuivre, jusqu'à son « entière expédition, l'affaire qu'ils avoient avec les religieux « mendians, au sujet de leurs privilèges pour la confession et (( la prédication (2. » Au commencement de l'année précé- dente, l'ardent évêque d'Amiens qui assistait au Concile, avait profité de son séjour dans sa maison près d'Orléans pour réunir les maîtres de cette dernière cité et prononcer devant eux un discours dans le même sens. Il estimait, disait-il, que ces maîtres étaient « plus habiles en droit et plus intelligents que ceux de Paris. -> 11 trouva, pour lui répondre, un Domi- nicain, docteur de la Faculté tliéologique de Paris et pro- fesseur dans le couvent de l'ordre à Orléans : ce fut Jean de Saint-Benoit-le-Flcuri qui insista, tout particulièrement sur le pouvoir des clefs conféré à Pierre et à ses successeurs et sur les prétentions absurdes d'obliger à la réitération de la confession (3;.

11^ « Volumus autem quod ii qui fratribus confitebuntur eisdem, suis (( pr'œsbyteris parochialil)us coiifiteri, salteni semel in anno, prout Conci- » lium générale statuit, nihiloniinus teneantur ; quodque iideni frati-es « ad hoc diligenter et efficaciter -ecundum datam ois a Domino gratiam « exhortentur. » [Hist. Univers. Paris., tom. III, p. 4<38). Voir aussi, en tenant compte de notre réflexion de plus haut, L'art de vérifier les dates..., Conc. de Paris XXXVI.

!•)) L'art de vérifier les daU's..., Paris, 1770. Chronol. des conciles.

Il paraît bien, d'après ÏHistoria Uniccrsilalis Parisicnsis, toni. ill, p. 'iSô-'iHt^ laquelle mentionne le Concile, que les Mendiants, de leur côté, ne tenaient guère compte des restrictions de la bulle : Quod illi inter- ( pretantur, ut sibi facere liceret citra licentiam et permissionem ordina- (c riorum. »

(3) Script, ord. Pnedicat., tom. I, pp. M et suiv.

C est le prélat lui-même qui raconte le fait dans une lettre a certains évèques de France ou plutôt à son métropolitain. Quand il eût fini son discours le Dominicain se leva et prononça ces mots : « Dommus epis- <( copus'dicit raultabona et vera, quidam dubia et qucedam alla ; et ad « omuia ista respondebimus die dominica sequenti». Il tint parole. De là, le Sermo F. Joannis a Sancto-Benedicto aiioiario episcopi Amtianensis col-

CONFLITS 66

Aux yeux de Bonifuce VIII, qui avait ceitit la tiare en 1294, il fallait décider les difTérents points litigieux de façon à faire aux parties de sages roncessions et à leur imposer quelques nécessaires sacrifices. Aussi, en l'année i'2Q\), une constitution apostolique fut-elle publiée (1), qui portait :

Touchant la prédication : les religieux des ordres de Saint- Dominique et de Saint-François auront la liberté de prêcher dans leurs églises, dans leurs domaines, dans les places pu- bliques (2), à la condition de le faire hors des heures les prélats du lieu prêchent ou font prêcher devant eux; les chaires des églises paroissiales ne leur seront accessibles qu'avec la permission du curé ou, à défaut de celle-ci, par commandement de l'évèque.

Touchant les confessions : les supérieurs des couvents demanderont aux prélats du lieu pour les religieux destinés au ministère de la confession l'autorisation d'exercer ce saint ministère; mais, en cas de refus, elle leur est accordée parla puissance apostolique; toutefois ce ministère devra se ren- fermer dans les limites dans lesquelles se renferme le minis- tère même du curé (3).

lectus et scripliis, sermoa qui a pour texte : Patem et veritattm diligite, et dont l'analyse et des extraits se lisent ibid. Ce sermon se trouve en entier dans le ms. lat. 0120 de la Bibliothèque nationale.

Le même nis. lat. contient une doulile réponse de l'évèque d"Amiens :

Repetilio domini Ambiancnsis episcopi ad dkta fratris Joannis de Siuicto- Benedicto in sermone suo, fado hominien post fcslitm sancti VinccntH.

Responsio domini Ambiane7}sis episcopi ad ertmdem sermonem fratris Joanni.s du Sanclo-Baiedicto.

Et aussi la lettre, à Tinstant mentionnée, du même prélat : Guillehni de Maliscone .. Utti'vœ advei'sus privilégia concessa Fralribus, Mendicantibus tempore Bonifarii VJ[f.

Ce Jean-de-Sairt-Benoit-le-Fleuri, comme parlent les auteurs des Scripl. ord. Prxdicat.. compléta, à Paris, ses étude? commencées au couvent d'Orléans. 11 fut reçu docteur en laSo. Les mss. lat. 149I7 et i49'i3de notre Bibliothèque nationale renferment quelques autres sermons de lui. Les auteurs des Script, ord. Trsedicat. estiment que les autres ouvrages ont péri dans le pillage de la maison de la cité orléanaise par les Calvi- nistes. Jls expliquent en ces termes son surnom parle lieu de sa nais- sauce : « F. Joannes a S. Benedicto Gallus ex celebri ad Ligerim supra « Aurelianos oppido Benedicti fano vernacule S. Benoist-le-Fleuri dicti ♦< natus... »

Voir l'article écrit par M. Hauréau sur Guillaume de Màcon dans VHist. litter. de la Franc, tom. XXV, pp. 080 et suiv.

(i) Eist. Univers. Paris., tom. lit, p. 545-547, est reproduite la cons- titution qui a pris place dans les Extrnvag. comm., lib. III, tit. VI, cap. II.

(2) «... in ecclesiis et locis eorum ac in plateis communibus...»

(5) «... nequaquam intendimus personis seu fratribus ipsis ad id taliter « deputatis potestatem in hoc impeudere ampliorem quam in eo curatis

5

(35 CONFLITS

Une aulro <iu('slioii (Hail venue se joindre, jusqu'alors moins bruyante, mais peut-rirc non moins grosse d'orages: nous voulons parler des sépultures. Les eouvents précités ne faisaient pas difficulté de donner la sépulture dans leurs églises. Mais alors cpie devenaient les droits des églises paroissiales? Boniface VIII, sMnspirant toujours des mômes pensées, donna législalivenient celle solution : Les Fréres- Prêcheurs et les Frères-Mineurs sont autorisés à accorder des sépultures dans leurs églises aux familles qui le demanderont; mais le quart de ce qu'ils recevront en chacune de ces céré- monies, sans en excepter les dons des défunts, sera reversé entre les mains des curés (1 1.

Cette bulle eut le sort ordinaire des mesures qui, visant le juste milieu, veulent contenter tout le monde : elle ne con- tenta personne.

« vel parochialibus sacerdotibus est a juro cuncessa, nis^i forsan eis ec- « clesiariun praelati uberiorein h\ liac parte irratiam specialiter ducerent « lacieudam. »

(i) «... quartam parte:n quam autlioritati^ apostolioa taxanius et etiam liraitamus. »

CHAPITRE

LUTTE DISSIMULEE OU LES PERILS DES DERNIERS TEMPS

Vaincue sur le terrain du droit dans la latte roiilre les religieux mendiants, l'Université était-elle donc réduite à n'espérer aucune revanche? Pourquoi ne pas concentrer l'attaque sur un autre point? Pourquoi ne pas traduire les adversaires, juridiquement victorieux, à la barré de l'opinion publique et, là, leur porter de terribles coups?Ni l'Université ni la Faculté de théologie ne se mettraient en avant; elles se garderaient même de trop se découvrir. Sous l'approbation au moins tacite de l'une et de l'autre, les opérations seraient conduites par des docteurs particuliers. Du reste, ces opé- rations, déjà commencées en 1252, se poursuivaient depuis. II n'y avait qu'à les pousser plus vigoureusement, après avoir eu soin d'augmenter ses forces.

Le commencement de la campagne nous est marqué en ces termes par Guillaume de Nangis : « En lan après c'est-à- « dire en 1252 ce avintune grant turbacion et une discorde « entre la université des clers escoliers de Paris et les «■ religieus,pour loccasion de un livre que maîtres Guillaumes « de Saint Amour, chanoines de Biauvais, avoitfaitet ordené, " ouquel il estoit escrit et entitulé : 5/ comnicncr le livres des « Perieusdoii monde » (1).

La tactique prudente nous est indiquée par le principal au- teur du livredans ces paroles: « Professant la foi chrétienne, « bien qu'indignes, étudiant à ¥a,r\s {Pai^iaiwi studcnles) , nous " avons fréquemment, selon la faiblesse de notre esprit, « scruté l'Ecriture-Sainte au sein de l'Université; et, frappé.s

(i) \ie de saint Louis dans Recueil des histofiens des Goules et de la France, tom. XX, p. 385.

68 CONFLITS

« dans le texte sacré des périls des derniers temps ou des « malheurs semblables qui paraissent déjà menacer toute « l'Eglise, nous avons pensé qu'il fallait les remettre à lamé- ce moire de tous. Nous nous sommes inspirés surtout de la « prophétie l'Apôtre, divinement éclairé, annonce certains « périls des derniers temps, périls qui avaient déjà alors leurs « semblables, mais qui apparaissent aujourd'hui plus nom- « breux. Il disait donc dans sa deuxième Epître à Timothée, « chapitre III: Sachez que, daji.y le: derniers joints, il viendra « des temps très périlleux. Et, sur ces paroles, écrites un peu « plus loin: De ce nombre sont ceux qui s'introduisent dans a les inai.^ons (1), la Glose s'exprime ainsi : Il y a déjà, en « petit nombre, il est vrai, des précurseurs (prœnunfii] de u ces hommes; mais ils seront plus nombreux à la (m des « temps » (2).

Certaines phases de la lutte sont également marquées par Guillaume de Saint-Amour: « De concert, disait-il, avec des « maîtres et des étudiants en théologie, des maîtres en décret, « j'ai recueilli les autorités demandées c'est-à-dire des textes sacrés, au besoin interprétés par la Glose ; « nous en « avons formé plusieurs collections dont nous avons fait un « volume partagé en divers points avec titres divers; mais le « volume a été modifié sucoessivement jusqu'à cinq fois; on « le remettait sur le métier pour le corriger de plus on plus, « ajoutant, retranchant, précisant (3). »

Dans la dernière ou les dernières révisions du volume, se trouve aussi révélée la suprême atta.que. Celle-ci, d'ailleurs, devait remplir d'espérance, puisqu'elle se ferait avec de nouveaux renforts, faciles à se procurer : l'Ecriture, en effet, n'abonde-t-elle pas en textes pour condamner ces prétendus zélateurs de la perfection évaugélique ?

Les Périls des derniers temps {Tractatus brevis de periculis novissimorum temporum ex Scripturis sumptus), donnés au public en 1252, eurent un dernier remaniement vers la fin de 1255 (4). Nous connaissons la raison de ce titre. Le livre com- mence par ces mots d'Isaïe : Voici que les voyants crieront

(i) I et 6.

(2) Dans Opéra de Guillaume de Saint-Amour, Constance, 1602, p. i5.

(3) Opéra, p. 109, et Hist. Univ. Paris., tom.III, p. 028.

(4) Le livre était déjà déféré à Rome ; car, nous allons le voir, le souverain-ponti'e, au moment de la condamnation, ne l'avait pas dans sa rédaction définitive.

CONFLITS 69

dehors et que les anges de la paix pleureront amèrement (1). C'était tout particulièrement l'œuvre de Guillaume de Saint- Amour. Eudes de Douay et GhrotieQ de Beauvais y apportè- rent leur concours (2).

Les deux premiers, dit Matthieu Paris, « rexerant in artibus, in decretis et tune in tlieologia; » le troisième, continue l'his- torien, « maximus quasi philosophus emeritus, postquam in artibus rexerat, in tlieologia lecturivitf3, ; » Ces théologiens, toutefois, au témoignage de Guillaume de Saint-Amour lui- même, nous venons de l'entendre, eurent même des collabo- rateurs dans la Faculté de décret.

Réalité de grands périls dans l'Eglise ; leurs causes, leurs agents, leur nature, leur imminence; nécessité et possibilité de les conjurer ; devoir d'en avertir les fidèles, culpabilité dans la négligence à le faire ; tels étaient les principaux points que l'auteur déclarait vouloir traiter. Il protestait, à la fois, de son respect pour les ordres approuvés par l'Eglise; parole peu sincère, car c'était bien, et personne ne pouvait se mé- prendre, contre les Mendiants et, en particulier, contre les Frères-Préclieurs qu'il dirigeait les plus violentes attaques; et l'explication qui sera donnée dans un instant, ne semble pas avoir pu convaincre celui-là même qui la formulait.

Nous connaissons la théorie du livre touchant le droit divin des curés, théorie d'après laquelle, ceux-ci ayant seuls avec le pape et les évêques mission légitime dans l'Eglise, il ne saurait, en dehors de ces trois autorités, y avoir qu'usurpation. Les pouvoirs accordées par Rome supposent donc incidem- ment la ratification ou l'assentiment des autorités locales. Ceux donc qui prétendent agir en ne tenant pas compte de l'ordre hiérarchique, ne sont que de faux apôtres.

Certes, on ne peut nier qu'il n'y ait, dans de pareilles préten- tions, de terribles dangers pour l'Eglise. Mais comment les détourner ? Le moyen le plus facile et le plus sûr, c'est de couper les vivres à ces hommes. Les vrais apôtres vivent de l'autel. Mais les faux n'ont aucun droit à cela.

Qu'on n'essaie pas de s'abriter sous ces mots : perfection évangéliquc. Cette perfection consiste à marcher sur les traces

U) XXXIII, 7.

(a) Le ms. lat. de l'Arsenal io-ii, par. III, pp. w- et 5o, parle du concours d'Eudes et de Chrétien.

(ô) Histor. maj., an. 1206, in fine.

^70 CONFLITS

de Jésus qui faisait le bien sans mendier, car on ne voit nulle part que le Sauveur et ses disciples aient pratiqué la mendi- cité. Par conséquent, que celui qui aspire à la perfection renonce aux biens de ce monde, mais pour demander les moyens d'existence au travail ou au monastère qui peut les lui assurer. .

11 est vrai qu'on >foit le contraire dans certains ordres nou- veaux. Mais c'est plutôt une tolérance qu'une permission de l'Eglise. En tout état de choses, l'Eglise, qui sur ce chapitre n'est pas infaillible, ferait bien désormais de s'en tenir à l'au- torité du grand Apôtre.

A quels signes reconnaître ces faux apôtres ? Citons Fleury

qui analyse trèS;bien l'auteur, « Ils feignent, dit cet historien,

« d'avoir plus de zèle pour le salut des âmes que les pasteurs

« ordinaires, se vantant d'avoir éclairé l'Eglise et d'en avoir

« banni le péché ; ils flattent les hommes par intérêt et de-

« meurent volontiers aux cours des princes ; ils usent darti"

« fice pour se faire donner des biens temporels, soit pendant

« la vie, soit à la mort; ils crient contre les vérités qui les

te choquent, et travaillent à les supprimer ; ils plaident pour

« se faire recevoir, ne veulent rien souffrir, se fâchent quand

« on ne leur fait pas bonne chère ou quand on les veut exa-

« miner ; ils persécutent ceux qui l'entreprennent, et exciten^'

« contre eux les puissances temporelles. Ils cherchent les

« amitiés du monde et font donner des bénéfices et des di-

•( gnités ecclésiastiques à leurs parents, quoiqu'indignes » (1).

Véritable pamphlet, ce livre fut un événement. « Le peuple,

« écrit Matthieu Paris, se mit à tourner en ridicule les reli-

« gieux mendiants, en leur refusant les aumônes qu'ordinai-

« rement il leur accordait ; on les appelait hypocrites, prédé-

« cesseurs de l'Antéchrist, faux prédicateurs, conseillers adu-

« lateurs des rois et des princes, contempteurs etsupplanta-

<( teurs des évoques, envahisseurs des appartements royaux,

« confesseurs prévaricateurs, voyageant en des pays ils

« n'étaient pas connus, excitant l'audace du péché » (2).

Les Dominicains portèrent cette plainte devant les prélats des provinces de Sens et de Reims réunis à Paris (3', à savoir

(i) Biat.eccels., liv. LXXXIV, ch, XXX.

(a) Hislor. major, ad an. i256, in fine. 11 )• a dans le texte : « Antichristi successores » .

(5) Nous lison"? dans l'AW de vérifier les dates..., Paris, 1770, Chronol. des Concil., aanée i256, à la suite du XXX^ concile de Paris : « Il y eut la

CONFLITS 71

qut? " i-ertiiins tnuUi'Cs séculiers do l;i Facilité de Ihéologio de; «■ Pari5 cuseiiinaieiit et ]jrècliuieiit publiquement bien des « choses fausses, erronées et contre les mœurs, et cela par- « fois au déli'iment de leur ordre (1) ». (iuillaume de Saint- Amour, Laurent-rAnglais, éi:alcment maître en théoloirie, et •(uelques autres honorables membres de l'Université furent invités à comparaître (2). Interrogé sur les cl^efs d'accusation, Guillaume opposa une réponse négative : puisqu'il n'avait nommé personne, pourquoi les Dominicains se faisaient-ils l'application de ce qui avait été dit? Du reste, il n'entrait pas dans sa pensée de jeter le blâme sur aucun ordre approuvé par l'Eglise ; quant aux points de doctrine, il croyait être dans la vérité ; et, d'autre part, il était tout disposé à se soumettre aux rétractations ou à user de corrections, si les évéques, ses juges, lui en imposaient le devoir. Les prélats proposèrent de soumettre l'affaire au Concile provincial les parties seraient entendues. Des deux côtés, il y aurait engagement d'adhérer à la décision conciliaire. Les Dominicains opposè- rent ce déclinatoire : semblable Concile ne pouvait avoir d'au- torité que pour la province de Sens; cela ne suffisait pas pour la just.fication d'un ordre répandu dans toute la chrétienté ; il y avait donc lieu de réclamer un tribunal plus élevé, le tribunal suprême de l'Egiise, le tribunal du Saint-Siège 3!.

De pareilles dissensions affligeaient d'autant plus le saint roi de France, que ses efforts étaient également impuissants pour les apaiser.

Le recours à Rome s'imposait.

Deux clercs de grande réputation et fidèles interprètes de la volonté royale ils se nommaient Pierre et Jean furent envoyés par Loui> IX à Alexandre IV, auquel était déféré le De Periculi^ novissimorum temporum \\- .

Les Dominicains envoyèrent aussi des députés à Rome : leurs premiers défenseurs devaient être, avec Humbert de

<( même année un second Concile à Pans loucfiant la m'^me affaire de « l'Université ; mais elle fut portée à Rome. . . » C'est de ce Concile qu'il s'agit ou bien il s'agirait d'une simple assemblée de prélats.

(i) «... quorum quaedam in derogitionem ordinis eornmdem redun- dabant ».

(i) « ... ac quibusdam aliis probis viris scholasticis. »

(3) Ces détails avec les citations sont pris dans la lettre des prélats aux députés de l'Université iRisl. Univers. Paris-, tom. III, p. ôoy), lettre dont mention va être faite dans un instant.

(4) Ihid., p. ôoS.

72 CONFLITS

Romans, général de Tordre, Albert-le-Grand et Thomas d'Aquin. Bonaventure, général des Franciscains, allait se 'Oindre à eux, car la cause était commune.

De son côté, pour la représenter dans le procès, TUniver- sité choisit, d'abord, les principaux auteurs du livre, Guillaume de Saint-Amour, Eudes de Douay et Chrétien de Beauvais. Elle pensait que, ayant leur propre cause à défendre, ils défen- draient mieux la sienne qui était la môme. Elle lenr associa Nicolas de Bar, Jean Belin et Jean de Gecteville ou Driton ou encore de Secteville, de Secheville. Le premier n'est pas pour nous un inconnu : « Rexerat, dit Matthieu Paris, in artibus, legibus et decretis », et il se trouvait préparé « ad legendum in theologia ». Le second était français, le troisième anglais et recteur de l'Université, et tous deux, dit encore Matthieu Paris, « nominatissimi philosophi, régentes in artibas » (i). Ces députés avaient, en même temps, reçu mission de pour- suivre la condamnation de V Evangile étemel, doctrine d'après laquelle le règne de Jésus-Christ touchait à sa fm pour faire place à celui du Saint-Esprit. Née parmi les Franciscains, cette criminelle doctrine se propageait au sein du même ordre et pénétrait quelque peu dans celui de Saint-Dominique. Se tenant, d'un côté, sur la défensive, ces députés devaient donc, de l'autre, prendre rofTensivo (2).

L'on est assez fondé à croire que c'est dans cette circons- tance que Guillaume de Saint-Amour prononça un discours conservé parmi ses œuvres. Le thème n'est pas différent. « Des périls viendront, s'écriait l'orateur; mais par qui « viendront-ils? Sera-ce par les princes et les barons? Assuré- « ment ils n'en seront pas la première cause, quoique ceux « par qui ils viendront aient beaucoup de princes et de barons « pour eux. Viendront-ils par les chevaliers couverts de leur u armure ou par les bourgeois bien vêtus? Assurément non. « Ils viendront par ceux qui font parade d'une apparence « extérieure de sainteté, qui intérieurement sont pleins « d'astuce et de malice » (3).

(i) Hist. Univers. Paris., ihid. et p. <oi)^^ ; Hisl . major, an. laôG, m fim.; Fleury, Hist. ecclésiast., liv. LXXXIV, chapitre XXX; Crévier, Hist. de l'Univers, de Paris., toni. I, p. 4Ô9-440.

(o.) Hist. Univers. Paris., tom. III, p. 5o8 : -< ... qui quidem legati <( ex adverso sccum Eonnuelium xlernum a Mendicaiitibus in tliesibus « publicis proposituin et propugaatum ad ccnsuram apostolicam detu- « lerunt. »

(3) Sermo in die SS. Apostolorum JaoM et Philippi, in quo de periculi&

73

CONFLITS

Les députés de l'Université étaient munis d'une lettre de .e ;mn' Llation ; et uneautrc allaitjMontôt leur être adressée Lapren.éreétaUdonnéerarlesprélatsdevantlesque,st^^^

comparus Guillaume de Saint-Amour Lauren-1 Anglais et autres universitaires. En tête étaient '";;>-'^^ ^^^^'^ de l'arolicvèque de Sens, des evequcs do Soissons, de

Beauvais, de^Noyon, d'Arras, '^^ ^''"^ '^ ^T^^'or^l Chartres, de Paris, d'Orléans, ^e, Meaux, de Trojes On i résumait riiisloirc du passé. Réd.gée pour tous "U"'™>-61^ prœsenles l.tteras inspecturis », cette lettre porte la date du i" août (1). La seconde lettre est postérieure de plus de deux mois. Conséquemment, elle leur aurait ete expéd.ee, lors- "u is étaient déjà en Italie. OEuvre collective des chapitres L cathédrales delà province de Reims, elle était pour le saint-père et les cardinaux de l'Eglise '■°-^^'"'^,' J'"^,".; nomme que les quatre théologiens qu elle ™"d ■iit -o r innocenter et gracier. Ceci expliquerait P0"'-1"°:'="« "'tP^,'*' pas des deux autres députés qui n'avaientpas ete J"^^" •^'«'f ' comme les premiers, des objets de blâme ou des sujets de peines ecclésiastiques (2). i„„ ,„(„«

Les députés univ.jrsitaires furent en retard sur les autres. Ceci doit être spécialement attribué à la délibération a prendre par \A!ma Mater et à la lettre à préparer par es prélats Tvant l'arrivée de ces députés, le livre avait ete livre à l'examen d'une commission composée de quatre car- dinaux: Eudes de Chàteauroux, évèque deTusculum, Jean Franciogia. Hugues de Saint-Cher, Jean des Urs.ns, ces trois derniers arant Utre, le premier de Saint-Laurent, lesecondde Sa.nte-Sabine,letroisiémedeSaiut-Nicolas.Surleurrappor,ie

livre avait été condamné comme « inique, criminel et execra-

„„«is.>mo,-..« <«mi)on«« ..S""''-La traductio,, est e™,,ru,it^ 4e la Franc, tome XIX, p. 2.4, art. de .M. 1 etil-Kaclel.

(„ HisL i;«toe,.. Pari.., mr. 111 P- •»9. SailcUtatem

R.rro suDPr ( bai et ChrisUan... canoaico Bellovacens,, Praeserlun .:: cuîntaaÏÏ'et tamv'ene,-.ad* amliUudinis nimietas s.t m causa, d.gae- « mini misericordiier relaxare... »

74 CONFLIT!?

ble»,puis brûlé daiisToglise d'Anagni.Lacourpontificalesé- journaitalorsdanscette ville. "Nous réprouvons, disaitlepape dans sa bulle de condamnation, et anathématisons le livre à per- « pétuié; nous ordonnons formellement à quiconque aura (f connaissance de ce jugement et dans les huit jours qui « suivront, de brûler et détruire complètement l'œuvre « réprouvée. Contre les contempteurs de notre commande- « ment, nous promulguons une sentence d'excommunication, « détendant lortement à chacun, au nom de l'obéissance, « d'approuver le susdit livre condamné maintenant par la " voix apostolique et de le patronner en aucune manière. t< Nous déclarons celui qui oserait agir autrement opiniâtre, « ce insoumis, rebelle à l'Eglise romaine. » La bulle est datée du 5 octobre 1256 il).

Les députés de l'Université, parvenus à Anagni, se crurent en droit de se plaindre : on savait qu'ils arrivaient; pourquoi tant se presser? (2) Ce fut inutile. Il fallait, sous la foi du serment, prendre les engagements suivants (3) : obéissance au pape et soumission à la bulle Qi^ai/ //^/i«m vitœ; réintégra- tion dans le corps enseignant des Dominicains et des Francis- cains et nommément de Thomas d'Aquin et de Bonaventure ;

(i) lUsl. Univers. Paris., tom. III, p. .ïio-ôti : bulle ici imprimée.

['j.) Hist. Un:vers. Paris., tom. III, p. ôia.

(5) L'.iuteur de l'article dans ÏHist. liltér. de la Franc, p. -^105, donne au seul Guillaume le courage de coniiuuer sa marche ou, du moins, de se présenter à la cour pontificale, lundis que ses compagnons, ayant eu connai-îsance de la bulle de cnndmination, revinrent sur leurs pa^avecla résolution de s'y soumettre. Trois auteurs sont visés à l'appui e l'asser- tion : \?i-hronicun Normannix, le De Apibus de Cantimpré et le r/(ro»/co7» yicolai Tr.vctli dans Sincilginm de d'.\chery,êdit. in-4, tom. Vill.p. Gno. ()r, cette dernière Chroni<iuc ne dit rien de cela. Le récit de ' an- tim'pré «embie plutôt d re le contraire, n'y aurait-il que ces paroles de la fin : « Quapropter jam dicti m.igistri, fratrum adversarii, di- « gnitatibus et beneticiis omnibus sunt privali, donec jnraverunt (c rnaiidato D. papa? coacti revocare l*arisius et in aliis civititibus et locis « verecun !se pnvdicationis eorum quidquid contra dictorum fratrum or- « dines implicite vel explicite vomuissent. » Enfin, le texte de la Chro- nique de Normandie serait même assi-z explicite. .Nous transcrivons : « qui « ad pa le curhun acredentcs, très eorum voluntati faventes res ituti et « cum ignominiisuntreversi, scilicet M. Odo de Duaco et M. Christianusac <( decanus de Barro super All)am : quartus vero, scilicet M. Guillelmus « de S.inctn-Amore fortiter in curi.i stetit ...» Ces passagi s sont cités dans lUst. Univers. Paris., tom. III, pp. ôiG-Siy. En tout état de choses, c'est l.i loi delà critique, ils doivent s'interpréter favorablement au docnmiMit dont nous allons parler et on nous lisons : «... in palatio « D. papaî Anagniœ... providis viris M Odoni de Duaco theologiae Facul- M tatis (loctori et Christiano canonico Bellovacensi..., in eorum prseseutia « constitutls. . . »

CONFLITS 75

maintien perpétuel de ["Université à Paris ; réprobation du De Pcriculis ; reconnuissanco du droit papal et épiscopal d'envoyeron établir des prédicateurs et des confesseurs sans le consentement des curés; reconnaissance aussi de l'état de mendicité, embrassé pour Tamour de Jésus-Christ, comme un état de porlection ; enseignement de ces deux derniers articles à Rome, à Paris et partout. Tous, à l'exception d'un seul, se soumirent; et. avant la fin du même mois d'oc- tobre, les engagements furent pris et même, au moins pai- deux,- solennellement ratifiés (1).

Des lettres pontificales partaient pour notifier le jugement rendu, l'une au roi de France (2), d'autres aux prélats, abbés et dignitaires de l'Eglise de France (3). L'exécution de la sen- tence était confiée aux archevêques de Rouen et de Tours et à

^i) Uisl. Univers. l'tiris., to'ii. III, pp. ôia, 3i5, ôi(».

Un acie aut!ionti(|Uf'. des serments d'Eudes de Diiuiy e-t de Chrétien de Beauvais en présence des deux cardinaux Hugues de Saint-Ch' r et Jean des Ursins est imprimé dans VHisl. Univers. Paris., tom. III, p. ")i5-5i6. II porte la date du octol)re. 11 se termine par ces mots : « In cujusrei « test monium ego pra'fatus Hernardus, apostulic* sedis authoritate no- « tariùs. »

Nous y lisons, au sujet de nos deux théologiens : « ... qui etiam octave « decimo die ejusdem mensis juraverant corporaliter coram eisdem do- X minis cardinalibus. . , »

Nicolas de Bar a dû, comme Eudes et Chrétien, engager sa parole le i8 octobre: les hisiorieiis précités ne permettent aucun doute sur ce point.

Il faut en penser autant de Jean Belin et de Jean de Gect'^'ille, à moins de dire que, en leur qualité de simples maîtres-ès-arts, on n'exigf^i point d'eux un engagement aussi posit'f, aussi circonstancié, aussi sacré, et qu'on se contenta d'une pronesse générale de sounii-'-^ion. Ceci don- nerait même la raison du silence des historieas précités sur ces deux maîtres-ès-arts.

Mais pourquoi cette ratification solennelli de la part d'Eudes et de Chré- tien''

Etait-ce parce qu'ils avaient été les principnuxcDlIaborateurs de Guillaume de Saini-.Amour dans la réd:iciioa du livre?

Avait-on des doutes sur la sincérité de burs premiers serments?

Y a-t-il (^u aus'^i ratification solennelle au moins de la part de Nicolas de Bar ? Si oui, l'acte ne nous serait p.ts parvenu.

Faiit-il écrire avec VHist. Univers. Paris., p. 5i5 : « Cum autem pluri- « mi esse momenti puiareiit cardinales notnm omnibus facere palinodiam « quam cecinera it M\I. Odo de Diiaco et Chnstianus Beluacensis. 25 oct. <( confici voluerunt publicnm hoc insirumentum. » Ma's, alors, pourquoi l'acte ne comprend-il pas les noms des autres députés ou, au moins, celui de Nicol is de Bar ?

Nous sommes forcé de laisser subsister ces divers points d'interroga- tion.

(2) Hist. Univers. Par>s., tom. III, pp. 3i:i-3i3 : « ... 16 kal. novemb. « pontificat, nostri an. II. »

(î) Ibid.f p. 3i3 3i4 : « ... 12 kal. novemb. pontificat, nostri anno II. >►

76 CONFLITS

l'évêque de Paris (1). Il était demandé à Louis IX, si besoin se faisait sentir, de prêter main-forte aux mesures qui seraient prises à cet effet [2).

Un seul, avons-nous dit, refusa la soumission immédiate. L'on a (?ompris que c'était Guillaume de Saint-Amour. Il demanda à remplir jusqu'au bout et devant des juges qui lui seraient donnés, sa mission apologétique. La commission des quatre cardinaux se réunit de nouveau i3). Furent encore ïippelés et c'était tout naturel les défenseurs des deux principaux ordres attaqués : ils avaient vaincu une première fois, ils devaient vaincre une seconde, malgré l'habileté de l'adversaire (4).

Le De Perkiilis ne constituait pas le seul chef d'accusation- Il y en avait un autre : les paroles par Guillaume prononcées dans des sermons et des discours académiques contre les re- ligieux mendiants (5).

Sur ce second chef, la défense fit usage, tantôt de la néga- tion, tantôt de l'interprétation.

Au dernier point de vue, la subtilité paraissait une arme. Qu'on en juge par un seul fait. On reprochait à Guillaume ■d'avoir avancé qu'il n'était pas permis aux religieux d'être

(i) Eist. Univers. Paris., ibid.^ p. 5i4-">i5, même date. (2) Ibid., p. 5i5, même date.

(5) Nous donnons la suite du texte dp la Chronique de Normandie : •" Quartus vero, scilicet M. Giiillplmus de Sancto-Amore, fortiter in curia « stetit, et in pluribus a prtedictis religiosis accusatus, ex sua innocentia << et docti'ina eorun'i quatuor cardinalibus competenter satisfecit, a quibus « ab omui impetitione fratrum pronuuciatus est immunis. » Da-asBist. « Univers. Paris., tom. III, p. ôiG

(4) Humbert de Romans, Albert-le-Grand, Ronaventure sont nommés par Caniiinpré dans le jiassage indiqué plus haut IHist. Univers. Paris., tom. III, p.ôi-). Mais il est certain que Thomas d'Aquin se trouvait aussi à Home pour la défense de son ordre en particulier et des ordres men- •diants eu général et qu'il s'acquitta admirablement de sa mission en pro- uonr-ant devani le pape sa belle apologie pour les ordres attiqués, apo- logie qu'il publia peu de temps après sous le titre : Contra inpwjnantcs DcicuUum et religionem. (Script, ord. Prse'Iicaf., tom. I, p. 271-272 : Tou- ron, La Vie de S. Thomas d'Aquin. . ., Pari-;, 17Ô7, pp. 1/19 et siiW.;Hist. Univers. Paris., tom. III, p. ô'^ô h est donc permis de conclure, comme probabilité, qu'il était aussi présent à la cominission D'autre part, le môme chroniqueur mentionne « aliorum prcTclatorum atque magnorum K virorum disputationes prolixas et magnas habitas .\nagniae coram ■« multis. »

(5i Hist Univers. Paris., tom. III, pp. 017 et suiv., et 0/)era de Guill. de "Saint-Amour, pp. .SS et suiv. : Inctpiunt casm et articuli super quibus accusa'ns fuit M. GuiH:bnus de S. A/rtore a FF. Predicatoribus cum res- ponsionibus ad singula. Nous renverrons à ÏHist. Univers. Paris.

CONFLITS 77

docteurs. Non, dit-il, je n'ai pas dit cela ; mais j'ai dit .siinplo- merit que désirer le doctorat ne leur est pas permis, et que le leur procurer ne l'est pas davantage, parce qu'ils ont renoncé aux Iionneurs comme aux riciiesses, et que le doctorat est un honneur '1'.

Il n'hésitait même pas, contre toute vraisemblance et, sans au(^un doute, contrairement à la vérité, à donner principale- ment pour but à ses traits sur la mendicité religieuse des sec- tes combattues par rEglise, comme les Béguards, les Frérots et autres hérétiques de même genre (2).

Du reste, ajoutait-il malicieusement, les Frères -Prêcheurs et les Frères-Mineurs, en se faisant l'application de ces traits,, se nuisent à eux-mêmes : ils pourraient faire croire ce qui n'est pas, assurément qu'il se passe chez eux quelque chose de semblable (3).

Sur le- premier chef ou le livre attaqué et condamné, il dé- clarait que les prélats de France en avaient été les premiers inspirateurs: « Désirant vivement éloigner de l'Eg-lise g-alli- « cane qui leur était confiée, les périls des derniers temps « qui doivent arriver par les faux prédicateurs et les rusés « entrante dans les maisons, {per pseudo [prœdicatores) et « pénétrantes domos), ces prélats ont demandé aux maîtres

(i) Hisl. Univers. Paris., ihid., p. Ô17.

(■?.; Ibid., p. .'19 : .< ...secundum quodea quspsuperius de meiidicitate

« dixi, dixi praecipue propter validos corpore, quorum est ia regno

« Franciifi mukitudo infinita, et propter quosdam juvenes quos appellant « Bonos-Valetos, et propter quasdani mulieres juvenes quas appellant « Brtjuinas per totum regnum jain diffusas ; qui oniiies, cum sint validi « ad operandum, parum certe aut niliil volunt operari, sed vivere volunt « de eleemosynis in otio corporali sub prfetextu orandi, cum nulllus sint « religiot isper Sedem apostolicam approbata*. Et, extra praxlictos, jam est « quarta Se'/'( P((r/si?/A- quœ dicit nunquam operaudum manibus, sedinces- « santer orandum; et si homines sic orarent,plures fructus terra sine cul- « tura atï'erret, quam modo afferat cum cultura. ><

Relativeii.erit au reproche portant sur ce point, qu'il y avait péché à se vêtir moins bien que ne le comporte son état, il expliquait sa pensée sur cette distinction, qu'il pouvait y avoir plus d'orgueil et, conséquemment, un plus grand péché sous un costume vil que sous un costume luxiieux; et il ajoutait ; « Et sci^nduip quod prcPdicavi hoc propter Beguinas et « Bonos-Yaktos, dicentes quod vestis pretiosa portari non potest sine « magno periculo. »

(3) Hist. Vn'vers. Paris., tom. III, p. 027 : « uico quod nec contra « ordinem fratrum nec contra eorum personas aliquid dicebatur, sed « tantum contra opéra pseudo (pnpdicatorum)et penetrautium doraos ; et « valde ignominiosum est fratribus dicere, quod per talia opéra intèlli- (( gerentur ipsi fratres, cum hoc esse vix, ut existimo, posset, nisi in eis « talia opéra, quod absit, modo aliquo apparerent. >.

78 CONFLITS

'( (le Paris, parce qu'ils ne pouvaient eux-mêmes se livrer " à l'examen des livres saints, de vouloir bien recueillir et '< mettre par écrit les passages qui, dans lii divine et cano- « nique Ecriture, parlent de la mafirre. » De là, est le livre. Quant à ce livre lui-même, Guillaume estimait que h\ condamnation pouvait porter sur la forme, m.iis non sur le fond. « Si le pape, disait-il, a réprouvé le mode et la ferme « de la compilation car il n'a pas visé, comme les adver- « saires le confessent eux-mêmes, les autorités qui y sont citées —, je ne résiste pas à sa sentence, mais j'obéis, fer- « mement persuadé que, dans le cas il eût vu le quatrième << ou le cinquième remaniement, il n'eût pas prononcé de « censure, mais il eût plutôt donné une approbation » (1).'

Autant qu'il est permis d'en jug-er, l'exemplaire que le pape avait eu entre les mains, était un de ceux qu'avait pro- duits le troisième remaniement. Et encore, Guillaume ne voyait-il pas que l'œuvre en cet état (rimperfection fût si répréliensible ! (2).

D'ailleurs, il était tout disposé à opérer les rectifications né- «•essaires: « Si nous n'avons pu avoir, disait-il encore, le pre- « mier rang dans la sag-esse, en n'écrivant rien de repréhen- « sible, nous aurons, du moins, le second dans la modestie, « en corrigeant ce qui aura déplu. »

Guillaume a-t-il quelque peu satisfait ses juges dans la pre- mière partie de sa défense? C'est fort douteux. Mais assuré- ment il y a eu échec complet dans la seconde, car, ainsi que le fait remarquer Albert-le-Grand, ces autorités divines qui remplissent les pages du livre ne sauraient concerner en rien des ordres vraiment approuvés par l'Eglise (3).

Le devoir de la soumission s'imp tsait i\ l'intrépide cham- pion d'une mauvaise cause.

Nous l'avons vu, les députés de l'Université avaient été chargés d'une seconde mission : poursuivre la condamnation dcV Ecangi/e éternel dont la doctrine s'affirmait dans desthè-

(i) Hist. Univers. Paris., ibid., p. ôaS.

(2) Ibid. « Nescio tamen utrum la isto volumine quod mihi dispicien- « dum d.:!distis, quicquam additum vel sabtractum fiierit per vitium falsi- u tatis. »

(5) Ibid., p. ô:>.8-52i).

L'auteur du Chronicon Normannix a été mal informe, lorsqu'il a écrit le passage que nous avons reproduit plus haut ; ou bien il faut ramener ses paroles au .>ens de notre assertion : il n'y a eu et U ne pouvait y avoir de succès dans l'apologie.

SCS et se (-(jndciisîiil (luiis des pagcxl'iin npuM-nle, Vliilrodin- l'ioii à cet (''vanpilo. Déjà Rome ;iv;iit i)()rtc' sur ces ciTOurs un jii.yenient, doiiiiKLtique eu Ici-iucs (pii ne paraissaient pas assez sévères et dont rcxccutiou sui'tout avail été ('ntourée de certains ménat;einents. L'Université demandait davantage : il fallait une senl(>nce (jui ne pût préler à l'équivoque ou à une interprétation liénigne pour les coupables. Ses députés par- lèrent fortement dans <-e sens. Ai>rès la condamnation solen- nelle des Périh de^ dpruiprs temps, Ylntroductioti à rEvaiujilr éternel ne, pouvait ne pas tomber directement et positivement sous les coups de l'autorité suprême. Nous entrerons, plus loin, dans les détails de celte procédure et de ses consé- quences.

Les députés de l'Université, à l'exception de Guillaume de Saint-Amour, furent autorisés par le pape à rentrera Paris. II y avait lieu de croire à la sincérité de leur parole. Néan- moins, de Rome, allait partir l'ordre à l'évêque de Paris, Regnaud deCorbeil, de rendre public l'acte notarié des enga- gements d'Eudes de Douayetde Chrétien de Beauvais, de veiller à leur fidèle exécution et, en cas d'infraction, de dé- noncer les coupables comme parjures (1). On ne voit pas ([u'en ce ([ui les concernait personnellement, ces députés aient manqué à leurs promesses i2;. Et même l'un d'eux. Chrétien de Beauvais, devint l'ami des Dominicains jusqu'au point de leur léguer des livres et vouloir que sa dépouille mortelle reposât chez eux (3).

Quant à Guillaume de Saint-Amour, la maladie semble avoir retardé son départ. Du reste, lorsque le moment fut venu, il obtint la permission de se rendre dans son pays natal (4); mais il y eut défense expresse, sous peine d'excommunication et de privation d'office et de bénéfice, de rentrer en France sans permission spéciale du Siège apostolique; et, en même temps, l'enseignement et la prédication lui étaient interdits. Guillaume promit, sous la foi du serment, d'obéir aux ordres

(i) Bulle du '1 octobre 1267, dans Hisl. univers. Paris., tom. III, p. .ï/j/i: « Si vero dicti iiiagistri preceptaipsa infràspatium ui:ius inensis a tem- « porepublicationis Imjusiiiodi adimplere non curaverint Farisius effi- « caciier et sinipliciter ac sine aliqua fictione, tu eos publiée denuntles « esse perjuros, »

(q) IbicL, pp. 3i(), 342.

(.3j Ibid.; ms. de l'Arsenal 1022, par. lll, p. 5o.

(4)flwt. Univer., Paris., loc. cit., p. ô^^, d'après Chronico7i 'Sorinann'iœ.

80 CONFLITS

apostoliques. Le bref, donné à cet effet et adressé h (iuillaume lui-même, porte la date du 9 août 1257 (1).

Presque aussitôt, deux autres bulles étaient expédiées au roi de France et à l'évêque de Paris pour leur faire connaître la décision intervenue, et demander à l'un et à l'autre, dans les limites de leur puissance respective, d'exiger l'obéissance à Tordre apostolique (2). Peu de temps après, le même prélat en reçut une nouvelle : le pape lui mandait d'absoudre, sous la condition des dispositions nécessaires, ceux ({ui avaient pris parti pour Guillaume de Saint-Amour (3).

La pacification des esprits était loin d'être complète. Le Df PericuUs était, non seulement conservé par un certain nombre de maîtres et d'écoliers, mais traduit en langue vulgaire; on lui avait même fait l'honneur de le versifier. A Paris, on était en relation épistolaire avec l'exilé de Saint-Amour. Admis aux actes universitaires; les Dominicains avaient sujet de se plaindre du peu de bienveillance qu'on leur témoignait. Delà, en 1259, deux autres bulles à l'évêque de Paris qui, dès lors, se trouvait chargé de réclamer, d'une part, une équi- table bienveillance et, de l'autre, d'interdire ce commerce de lettres (4).

Néanmoins, on osait, au sein de l'Université, demander le retour de Guillaume. Alexandre IV parut s'adoucir; car, en déclarant ne pouvoir alors accorder l'autorisation nécessaire, il exprimait l'espoir qu'il lui serait permis de l'accorder plus tard (5\

Ceux qui, malgré la condamnation, avaient conservé le De PericuUs, se trouvaient sous le coup de censures que Rome seule pouvait lever. L'évêque de Paris intervint et reçut des pouvoirs ad hoc. Au sujet de la bulle, datée du 11 décembre 1260, qui les lui conférait (6), Crévier a fait cette réflexion digne de sa plume universitaire : « Cette bulle est la dernière

(i) Wht. Univers. Favit!., loc. cil., p. ô^a-ô^ô. Le début du bref est des plus sévères : «... propter multipliées causas et grandes offensas quae <( temerarie comniisisti et specialiter propter libellum perniciosuni et de- ce testabilem a te compositum... merueris graves pœnas... »

(a) Ihid., p. S'iS, bulles datées, l'une de "Viterbe ii août, l'autre de la même ville le 23 du même mois laSj.

(3) Ibid., p. 544» bulle datée de Viterbe le -i-j septembre laSj.

(4) Ibid. pp. 548, 55 1, bulles datées l'une d'Anagni le fi avril, l'autre de la même ville le 20 juin suivant.

(5) Hist. Vniver.'i. Paris., vol. cit., p. 355, bulle ad imiversitatem, datée d'Anagni le i5 juillet laSg.

(6) Ibid., p. 36i.

CONFLITS 81

" et environ la quarantième que le pape Alexandre IV donna « dans l'affaire des Mendiants contre l'Université de Paris; « et, comme s'il n'eût vécu que pour cette œuvre, il mourut « moins de six mois après, au mois de mai 1261 » (l).

La mort d'Alexandre IV allait-elle marquer la lin de l'exil de Guillaume i2)? On l'a dit, Guillaume, deux ans après, grâce à la bienveillance d'Urbain IV, aurait pu rentrer à Paris et revoir ses collègues dont il aurait reçu le plus chaleureux accueil, tel est le récit de du Boulay ;3). Mais Grévier croit pouvoir élever un doute sur ce point : de cette rentrée à Paris, dit-il, « je ne trouve aucune preuve » (4).

Quoiqu'il en soit, à Paris ou ailleurs, Guillaume de Saint- Amour eut le grand tort de recommencer la lutte.

Un second volume vint au secours du premier. Les Collec-

(i) Hist. de l'Univers, de Paris, tom. I, p. 471.

(2) Le Roman de la Rose est favorable à Guillaume, car nous y lisons d'un côté, que le théologien

... avoit en sa vérité L'accord de l'université Et du peuple communément Qui escoutent son preschement; Et de l'autre :

Estre bany de ce royaume A tort com' fut maistre Guillaume De Sainct Am.»ur, qu'hypocrisie Fit exiler par grana'envie. 'Vers cités dans Hisl. Univers. Paris., tom. III, p. 686). D'autre part, le trouvère Rutebeuf mettait ces paroles dans la l>ouch€ de l'Eglise :

He, Ancien, Decretistre, fi<icien, Comment sofTrés en tel lieu

Mestre Guillaume Qui por moi fi*:t de teste hiaume ? Or est fors mis de cest royaume

Li b ins preudon Qui mist cors et vie à bandon. Or est en son ra'is reclus

.\ Saint Amor, Et nus ne fet por lui clamor.

Morte est pitiés Et charités et amitiés : Fors dou règne les ont getiés

Vpocrisie Et vaine gloire et tricherie (Vers cités dans Hist. litt. de la Franc, tom. XX, p. ;jb-j.). i.3) hist. Univers. Paris., tom. III, p. 568-.369. Voir aussi la Préface sur les Opéra de Guillaume de >aint-Am<>ur,. p. 63. (4) Hist. Univers, de Paris, iom. II, p. 29.

6

82 CONFLITS

tiones catholkcb et canonicse Scnpturœ eurent pour but d'ex- pliquer et de confirmer les assertions du Tractatm de pericuUs- C'est le traité le plus étendu qu'ait composé l'auteur. Dans un Prologue, ce dernier expose que la doctrine qu'il va établir n'est pas sa doctrine, mais celle des saints Pères et spécia- lement du grand évoque d'Hippone, comme on peut le voir par l'étude du De Opère monachorum. Aussi à TEcriture et à la Glose joint-il souvent dos citations pathologiques. Le danger était toujours pressant. Il fallait y faire face sans

retard :

Principiis obsta, sero medicina paratur,

Cum mala per longas invaluere moras. Guillaume écrivait à la fin de ce Prologue en s'adres- sant au bienveillant lecteur [lector bénigne) : « Que l'inha- « bileté du compilateur , l'imperfection du style, le défaut « d'ordre peut-être ne vous portent point à repousser avec « colère et mépris, avant d'en avoir pris connaissance « entière, ce qui est renfermé dans ce livre rédigé pour être « utile, en les éclairant, aux âmes simples. De grâce, armez- « vous de patience, lisez le livre attentivement et jusqu'à la « fin; puis, selon le conseil de votre raison, donnez lui bon « accueil ou réservez lui le mépris ; car, si auparavant vous « lui infligez ce mépris, votre réprobation paraîtrait inspirée « plutôt par la haine que par la droiture du jugement, confor- « mément à ces paroles de saint Jérôme dans son Prologue « mr haïe: Legant prius et postea despiciant, ne videantur « non ex judicio, sed ex odiiprœsumptione ignorata damnare ; « conformément encore à ces autres paroles de saint Augustin (( dans son livre du Mensonge: Sane quisquis legis, nihil « reprehendas, nisi cum totwn perlegeris: et ita forte repre- « hendes minus. » L'ouvrage comprend cinq parties ou Dis- tinctions dans lesquelles il est traité : Des faux prédicateurs ; des oisifs, curieux et vagabonds; de leurs nombreux moyens de tromper; des signes qui permettent de les reconnaître; du devoir de les combattre énergiquement (1).

(i) Voici le long titre du traité qui en ferait suffisamment connaître l'objet, l'esprit et le ton : ColkcVones catholicx et canonicœ Scripturx ad defensionem ecclesiasticx hiérarchise et ad inslruclionem simplicum fide- tiumChristi contra pericula imminentia Ecdesise generali per hypocritas, pseudoprophetas et penetnwtes domos et otiosos et curiosos et gyrovagos. Nous transcrivons cependant le titre des cinq distinctions :

De Pseudopixdicaloribus et penetrantibus domos : qui sint et qualiter ptriculosi sint Eccksiœ.

CONFLITS 83

Guillaume soumit à Gl(''ment IV le nouveau Recueil des autorites catholiques et canoniques. Le pape, en so réservant de prononcer après plus ample connaissance du livre, répondit que les deux ouvrages étaient des frères trop ressem- blants (1). C'était assez faire connaître sa pensée.

Le jugement qui s'était fait pressentir a-t-il été réellement rendu? Il y a lieu de le penser, tout en se gardant, en l'absence de preuves positives, d'être aussi affirmatif que les adversaires de l'intrépide athlète. Peut-être le souverain- pontife aura-t-il pu estimer que la condamnation du second livre se trouvait évidemment incluse dans celle du premier?

Les mêmes adversaires prétendent encore que les Collec- tiones ont été expédiées par Jean de Verceil, général des Dominicains, à Thomas d'Aquin avec ordre de les réfuter. De le Contra impugnantes Dei cultum et religionem de ce dernier (2). C'est une opinion qui ne nous paraît pas fondée; elle a, du reste, contre elle des autorités bien grandes, comme du Boulay, Touron, les auteurs des Scriptores ordinis Prœdi- catorum; nous ne la suivrons pas à l'article que nous écrivons sur l'Ange de l'école; et, déjà précédemment, nous avons assigné une autre origine au Contra impugnantes Dei cultum et religionem.

De Oliosis et curiosis et gyrovagis : qtialiter vivant contra doctrinam Avostoli et uiiiiliter sint Ecclesiae periculosi.

_ Quun mnliiplici simuUatione decipiant prsedicti seductores hypocritœ

simpHrcs fidèles r,hrisLi. . ,. , y „.cc,-«/

De Signis qiiilnis pseudoprœdicatores a veris prœdicatonbus possint diseerni. Ces signes sont au nombre de cinquante ; et l'auteur, après les voir décrits, ajoute: "Sunt et alia sigaa plurima...» „. ^ _ , . ,

Per quos et qnaliter debeant prœdicta pericida repelli ab Ecclesia; et Qualiter ininiaulur qui in repellendo négligentes exliterint velremissi.

La TabiU,, qui suit, de signisperquœ psewioprœdicatores discernipos- sunt a veri.s, n'est véritablement que la table de la quatrième distmction

^T.) HUt'^U^dvers. Paris., tom. III, p. 582. La lettre papale est d'octo- bre io66 « Saiie libellum novum evolvere cœpimus quem misisti, qui, .< licpt i.iterdum nVus oras continens circumeat, veterem tamen vultum .( multum SHpit, et, cum excussus et discussus coloratus m aliquo viae- .< aiur, totam primi substantiam comprobabitur retmere. Verum quia « totumnonlHgimus. nihil possumus respondere, msi quod provida di- « ligeniia cor tuum muuias, ne sub boni specie seducat... Nos autem « cSm legerimus hoc opusculum etaliis amatoribus veritatis et eumdem « intelligentibus cominunicaverimus, hune quod nobis videbitur, tibi »< curabiinus intimare. » (a) Ibid., p. 582-383.

LIVRE III

QUESTIONS DOCTRINALES

CHAPITRE I L'EVANGILE ETERNEL

L'abbé Joachim. Jean de Parme. Pierre dOlire

II y a à distinguer trois phases religieuses dans la durée du monde : la première s'étendait de l'origine des choses à l'Evangile; la seconde s'étend de l'Evangile au xiir siècle-: la troisième va bientôt heureusement apparaître. La première s'inaugura en Adam, la seconde aux jours d'Elisée et d'Ozias, la troisième au temps de saint Benoit. La première atteignit son apogée sous la loi de la circoncision, la seconde l'atteint sous celle de l'Evangile, la troisième l'atteindra vers la fin du monde. La perfection de l'élément prédominant dans ces trois états du monde doit correspondre à leur perfection même. Dans le premier la prépondérance appartenait aux hommes mariés, dans le second elle appartient au clergé séculier, dans la troisième elle appartiendra au clergé régulier. Delà, ce qu'on peut appeler trois ordres, l'ordre des mariés, l'ordre des clercs, l'ordre des moines.

Ainsi pensait et enseignait

JOACHIM (1^.

Italien d'origine, religieux de l'ordre de Citeaux, successive-

(i) Voici un passage emprunté par dom Gervaise à un travail de l'abbé Joachim sur l'Apocalypse et la doctrine de ce dernier, quant à la pre- mière partir-, est clairement lortnulée : -.(Primus trium statuum de quitus <( uobis est sermo, fui» sub tempore legis, quando populus Domini adhuc « pro tempore pauculus serviens erat sub démentis hujus mundi ; se-

86 QUESTIONS

ment abbé de Garazio et de Flore en Calabre, mort au commencement du xiH^ siècle (1), Joachim fut réputé prophète par les hommes de son pays et de son temps, mais jugé ailleurs moins favorablement. Si le Dante le place dans son Paradis et le qualifie d'esprit prophétique :

Il calavrese aba'e Giovacchino De prophetico spirito dotato, (2}

un grave historien a tracé surlui ces lignes : « Guillaume, évê- « que de Paris, qui écrivoit environ vingt ans après, parlant « du don d'intelligence, dit : Ce don est en quelques uns d'une « si grande clarté et d'une si grande pénétration qu'il res- te semble fort à l'esprit de prophétie, tel que quelques uns « ont cru avoir été en l'abbé Joachim, et on dit qu'il a dit « lui-même qu'il n'avoit point l'esprit de prophétie, mais (( l'esprit d'intelligence... Saint Thomas a dit aussi que l'abbé « Joachim a prédit des choses vraies et s'est trompé en « d'autres , parce qu'il ne parloit pas par l'esprit de prophétie, <' mais par des conjectures de l'esprit humain, qui n'atteignent « pas toujours à la vérité « (3). L'avenir réservait même au

« cuadus status fuit sub Evaagelio et manet usque nunc, in libertate « qui'iem resppctu prœteriti, sed non in libertate respecta futur!. ..; ter- « tins ergo status crit ( irca finem sœcuii, jim non sub velamine litterae, « sed in plena spiritus libertate. Et primas quidem status qui claruit sub « lege et circunicisione, initiatus est ab Adam; secundas qui claruit sub Il Evangelio, initiatus estab Eliseo et Ozia; tertius a tempore sancti Bene- « dicii. cujus excellens claritas expectanda est circa linem. (Gervaise. Hisl. de l'abbé Jaw-him... Paris, 17 '(3, in-12, p. ô.'iôi. En ce qui concerne l'élément pi'édominant ou les trois ordres, di»m Gervaise ^Ibid., p. 358) fait lire la traduction d'un passage tiré du livre de la Concorde du même écrivain : .Nous y voyons f|ue « le premi»^!' état des hommes, qui e^^t aussi « le premier état de l'église, était l'ordre des mariés qui a commencé à ■< fructifier dans Abraham ; que le second était l'ordre des clercs, qui a «< commencé sous Ozias et qui a fructifié en la personne d'^ Jésus-Christ, '( enfin qun le troisième ordre était l'ordre des moines selon une forme « particulière qui a commencé à saint Benoît et qui ne fructifiera qu'à la « fin des tems. »

(1) Rien de certain sur l'année de sa naissance et celle à.f sa mort. On le fait naître en nôo et ii43 et mourir en 1201, 1207 et i?oS.

« Bien jeune encore, dit-on, il quitta son père Mauro qui cxerrait la « profession de notaire, et sa mère Gemma, pour aller visiter les lieux « saints de la Palestine. » C'est à son retour qu'il serait entré dans l'or- dre de Citeaux. [Hist. lillér. de la Franc, tom. XX, p. 24).

(2) Cit. dans FJist. liltt^r. de la Fra^rc, tom. XX, p. 25.

(3) Flenry, IHst. ecclés., liv. LXXV, ch. XLI.

Le même historien qui puise surtout dans les BoUandistes, avait écrit d'abord ces lignes ; <> Dans les commentaires sur les prophètes et r.\po- « calypse, l'abbé Joachim a mêlé plusieurs prédictions touchant les em-

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défunt, en certains endroits, les honneurs de l'invocation : « L'abb6, Joacliim est honoré en Galabre comme saint; mais «